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sur certains usages du somnambulisme, que dans sa profonde sagesse elle ne condamne pas en fait, mais dont elle réprouve les abus et les procédés au moins dangereux.

« A différentes époques, dit l’auteur anglais, le magnétisme a donné lieu à des discussions si vives et si animées, que des deux côtés on arriva promptement aux extrêmes ; c’est presque dire à l’erreur. Les partisans du magnétisme prétendirent que l’homme possède, dans cet état, des facultés jusqu’alors inconnues. Pour quelques-uns d’entre eux, l’espace disparaissait devant les prodiges de leurs sujets magnétisés ; il n’en coûtait que le simple effort de la volonté pour la nature des choses les plus différentes, pour métamorphoser une tonne d’eau de la Tamise en vin de Champagne, ou pour répandre sur une population affamée les bienfaits d’une nourriture agréable et abondante. Pour eux, les sciences les plus problématiques, celles qui exigent les études les plus profondes et les plus sévères, s’apprennent en quelques instants. La femme nerveuse, qu’une pensée sérieuse de quelques minutes fatigue, devient, entre les mains des habiles du parti, plus savante et plus heureuse dans ses prescriptions qu’aucun de nos praticiens les plus expérimentés.

» De leur côté, les antagonistes du magnétisme ne veulent admettre aucun phénomène insolite, aucune exception aux règles ordinaires de la nature : pour eux, tout l’échafaudage du magnétisme ne repose que sur l’erreur des sens de quelques personnes et sur la fourberie de quelques autres. Le fait suivant, exemple remarquable de somnambulisme naturel, ne permet pas de douter que, dans cet état, l’homme ne possède quelquefois des facultés qui sont à peine appréciables dans l’état de veille. Au reste, ces phénomènes, quoique très-curieux, n’ont rien de surnaturel ; et il est facile d’expliquer ce qu’ils ont de surprenant par la concentration de toutes les forces de l’intelligence sur un seul objet et par l’exercice de quelques sens dans des circonstances particulières. Les faits rapportés dans la brochure américaine dont nous allons donner l’analyse, et sur la véracité desquels aucun praticien des États-Unis n’a élevé de doute v présentent un haut degré d’intérêt, surtout si on les rapproche de ceux du même genre qui ont été offerts par l’infortuné Gaspard Hauser, quoique dans des circonstances différentes.

» Jeanne Rider, âgée de dix-sept ans, est fille de Vermont, artisan. Son éducation a été supérieure à celle que reçoivent ordinairement les personnes des classes moyennes de la société. Elle aime beaucoup la lecture et fait surtout ses délices de celle des poètes. Bien que son extérieur annonce une bonne santé, cependant elle a toujours été sujette à de fréquents maux de tête ; il lui est arrivé plusieurs fois de se lever du lit au milieu de son sommeil ; mais il n’y avait rien là qui ressemblât aux phénomènes remarquables que depuis elle a éprouvés.

» Cette singulière affection a débuté chez elle subitement. D’abord ses parents firent tous leurs efforts pour l’empêcher de se lever ; les secours de l’art furent même invoqués sans un grand succès, car au bout d’un mois elle fut prise d’un nouveau paroxysme, pendant lequel on résolut de ne la soumettre à aucune contrainte et de se contenter d’observer ses mouvements. Aussitôt qu’elle se sentit libre, elle s’habilla, descendit et fit tous les préparatifs du déjeuner. Elle mit la table, disposa avec la plus grande exactitude les divers objets dont elle devait être couverte, entra dans une chambre obscure, et de là dans un petit cabinet encore plus reculé, où elle prit les tasses à café, les plaça sur un plateau qu’elle déposa sur la table, après beaucoup de précautions pour ne pas le heurter en l’apportant. Elle alla ensuite dans la laiterie, dont les contrevents étaient fermés, et poussa la porte derrière elle ; après avoir écrémé le lait, elle versa la crème dans une coupe et le lait dans une autre sans en épancher une seule goutte. Elle coupa ensuite le pain, qu’elle plaça sur la table ; enfin, quoique les yeux fermés, elle fit tous les préparatifs du déjeuner avec la même précision qu’elle eût pu y mettre en plein jour. Pendant tout ce temps, elle sembla ne faire aucune attention à ceux qui l’entouraient, à moins qu’ils ne se missent sur sa route ou qu’ils ne plaçassent des chaises ou d’autres obstacles devant elle ; alors elle les évitait, mais en témoignant un léger sentiment d’impatience.

» Enfin, elle retourna d’elle-même au lit ; et lorsque le lendemain, en se levant, elle trouva la table toute préparée pour le déjeuner, elle demanda pourquoi on l’avait laissée dormir pendant qu’une autre avait fait son travail. Aucune des actions de la nuit précédente n’avait laissé la plus légère impression dans son esprit. Un sentiment de fatigue fut le seul indice qu’elle reconnut à l’appui de ce qu’on lui rapportait.

» Les paroxysmes devinrent de plus en plus fréquents ; la malade ne passait pas de semaine sans en éprouver deux ou trois, mais avec des circonstances très-variées. Quelquefois elle ne sortait pas de sa chambre, et s’amusait à examiner ses robes et les autres effets d’habillement renfermés dans sa malle. Il lui arrivait aussi de placer divers objets dans des endroits où elle n’allait plus les chercher éveillée, mais dont le souvenir lui revenait pendant le paroxysme. Ainsi, elle avait tellement caché son étui qu’elle ne put le trouver pendant le jour, et l’on fut étonné de la voir la nuit suivante occupée avec une aiguille qu’elle avait dû certainement y prendre. Non-seulement elle cousait dans l’obscurité, mais encore elle enfilait son aiguille les yeux fermés. Les idées de Jeanne Rider relatives au temps étaient ordinairement inexactes ; con-