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elle la saignit, et quand elle eut ramassé son sang dans un petit pot avec le cœur, elle le fit porter à la porte de l’homme que nous soupçonnions. Pendant que le sang s’égoutterait, notre homme devait dessécher, à ce qu’elle disait. Après cela elle nous demanda vingt-cinq aiguilles neuves qu’elle mit dans une assiette et sur laquelle elle versa de l’eau. Autant il y en aurait qui s’affourcheraient les unes sur les autres, autant il y aurait d’ennemis qui nous en voudraient. Il s’en trouva trois. Tout cela fait, elle emporta la poule et revint quelques jours après avec Jeanne sa sœur. Mais il se trouva qu’il leur manqua quelque chose pour arriver à leur définition : c’étaient des drogues qu’avec 25 fr. que je leur donnai, et que j’empruntai en partie, elles allèrent quérir à Cherbourg, et qu’elles devaient rapporter le soir, avec deux mouchoirs que ma femme leur prêta ; mais elles ne revinrent plus. Pour lors j’eus l’idée qu’elles n’étaient pas aussi savantes qu’on le disait. Pour m’en assurer, j’allai consulter une batteuse de cartes du Limousin, et je l’amenai chez Thérèse. Là-dessus les deux femelles se prirent de langue : la Limousine traita la Marquise d’agrippeuse et le Marquis d’agrippeur. Ça fit une brouille, et les affaires en restèrent là. À quelque temps de là cependant, ma femme la revit dans une boutique à la Pierre-Butée, avec Charles Lemonnier, qu’elle appelait son homme. Elle lui parla de ce qu’elle lui avait donné, de trois chemises que j’oubliais, de deux draps de lits, d’un canard et d’une poule que je lui avais portés moi-même ; elle lui demanda aussi ce qu’était devenue la poule qu’elle avait saignée pour sa magie. Sur-le-champ, Thérèse répondit qu’après l’avoir fait rôtir elle s’était dressée sur table et avait chanté trois fois comme un coq. — C’est vrai, reprit Charles Lemonnier, car quand je l’ai vue, ça m’a fait un effet que je n’ai pas osé en manger.

» Les Marquis et compagnie n’appliquaient pas seulement leurs talents à la levée des sorts ; mais tels sont les principaux faits qui amènent les différents prévenus devant le tribunal, et auxquels on pourrait ajouter le vol de deux pièces de fil et de deux livres de piété, imputé à la même Thérèse, lors de sa visite, au préjudice de la femme Heiland, et le fait d’escroquerie reproché au vieux sorcier Marquis, à raison de ses sortilèges sur la fille d’un nommé Yves Adam, de Brix. M. le substitut Desmortiers rappelle les fâcheux antécédents, d’abord de Thérèse, condamnée par un premier jugement, pour vol, à un an et un jour d’emprisonnement ; par un second jugement de la cour d’assises de la Manche, en sept années de travaux forcés ; de sa sœur ensuite, condamnée pareillement en six années de la même peine ; de Leblond père, dit le Marquis, qui a subi deux condamnations correctionnelles dont la durée de l’une a été de neuf ans ; de Drouet enfin, condamné à un an et un jour de prison.

» Le tribunal, après avoir renvoyé de l’action la vieille femme Leblond, prononce son jugement, qui condamne aux peines qui suivent les coprévenus : Thérèse Leblond, dix années d’emprisonnement ; Jeanne Leblond, femme Lemonnier, six ans ; Jacques Leblond, dit le Marquis, cinq ans ; Charles Lemonnier, un an et un jour ; Pierre-Amable Drouet, six mois ; Pierre Lemonnier, un mois ; les condamne chacun, en outre, en 50 fr. d’amende, et solidairement aux dépens, et dit qu’à l’expiration de leur peine ils resteront pendant dix ans sous la surveillance de la haute police. » Voy. Sicidites, Agrippa, Faust et une foule de petits articles sur divers sorciers.

On trouve des sorciers dans les plus vieux récits. Les annales mythologiques vous diront qu’à Jalysié, ville située dans l’île de Rhodes, il y avait six hommes qui étaient si malfaisants que leurs seuls regards ensorcelaient les objets de leur haine. Ils faisaient pleuvoir, neiger et grêler sur les héritages de ceux auxquels ils en voulaient. On dit que, pour cet effet, ils arrosaient la terre avec de l’eau du Styx, d’où provenaient les pestes, les famines et les autres calamités. Jupiter les changea en écueils.

Le voyageur Beaulieu conte qu’il rencontra un de ces sorciers ou escrocs, qu’on a aussi appelés grecs, à la cour du roi d’Achem. C’était un jeune Portugais nommé Dom Francisco Carnero ; il passait pour un joueur habile et si heureux qu’il semblait avoir enchaîné la fortune. On découvrit néanmoins que la mauvaise foi n’avait pas moins de part que le bonheur et l’habileté aux avantages qu’il remportait continuellement. Après avoir gagné de grosses sommes à un ministre de cette cour, qui se dédommageait de ses pertes par les vexations qu’il exerçait sur les marchands, il jouait un jour contre une dame indienne, à laquelle il avait gagné une somme considérable, lorsqu’en frappant du poing sur la table, pour marquer son étonnement d’un coup extraordinaire, il rencontra un de ses dés qu’il brisa, et dont il sortit quelques gouttes de vif argent. Elles disparurent aussitôt, parce que la table avait quelque pente. Les Indiens, d’autant plus étonnés de cette aventure, que le Portugais se saisit promptement des pièces du dé, et qu’il refusa de les montrer, jugèrent qu’il y avait de l’enchantement. On publia qu’il en était sorti un esprit, que tout le monde avait vu sous une forme sensible, et qui s’était évanoui sans nuire à personne. Beaulieu pénétra facilement la vérité. Mais il laissa les Indiens dans leur erreur ; et, loin de rendre aucun mauvais office à Carnero, il l’exhorta fortement à renoncer au jeu dont il ne pouvait plus espérer les mêmes avantages à la cour d’Achem[1].

Sous le règne de Jacques Ier, roi d’Angleterre,

  1. Histoire générale des voyages.