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le nommé Lily fut accusé d’user de sortilège devant un juge peu éclairé, qui le condamna au feu. Lily n’était rien moins que sorcier ; son crime consistait à abuser de l’ignorance superstitieuse de ses concitoyens. Il osa s’adresser au souverain et lui présenter un placet écrit en grec. L’étude des langues était alors fort négligée en Angleterre. Un semblable placet parut un phénomène au monarque. — Non, dit-il, cet homme ne sera pas exécuté, je le jure, fût-il encore plus sorcier qu’on ne l’accuse de l’être. Ce que je vois, c’est qu’il est plus sorcier dans la langue grecque que tous mes prélats anglicans.

Un officier, d’un génie très-médiocre, envieux de la gloire d’un capitaine qui avait fait une belle action, écrivit à M. de Louvois que ce capitaine était sorcier. Le ministre lui répondit : « Monsieur, j’ai fait part au roi de l’avis que vous m’avez donné de la sorcellerie du capitaine en question. Sa Majesté m’a répondu qu’elle ignorait s’il était sorcier, mais qu’elle savait parfaitement que vous ne l’étiez pas. »

Il y eut à Salem, dans l’Amérique du Nord, en 1692, de singuliers symptômes qui tiennent à l’histoire de la sorcellerie. Beaucoup d’hypocondriaques voyaient des spectres, d’autres subissaient des convulsions rebelles aux médecins ; on attribua tout à la nécromancie, et Godwin, dans son Histoire des nécromanciens, donne sur ces faits étranges des détails étendus. Plusieurs femmes furent pendues comme accusées et convaincues d’avoir donné des convulsions ou fait apparaître des fantômes, « On voit constamment, dit Godwin, les accusations de ce genre suivre la marche d’une épidémie. Les vertiges et les convulsions se communiquent d’un sujet à un autre. Une apparition surnaturelle est un thème à l’usage de l’ignorance et de la vanité. L’amour de la renommée est une passion universelle. Quoique ordinairement placée hors de l’atteinte des hommes ordinaires, elle se trouve, dans certaines occasions, mise d’une manière inattendue à la portée des esprits les plus communs, et alors ils savent s’en servir avec une avidité proportionnée au peu de chances qu’ils avaient d’y parvenir. Quand les diables et les esprits de l’enfer sont devenus les sujets ordinaires de la conversation ; quand les récits d’apparition sont aux nouvelles du jour, et que telle ou telle personne, entièrement ignorée jusqu’alors, devient tout à coup l’objet de la surprise générale, les imaginations sont vivement frappées, on en rêve, et tout le monde, jeunes et vieux, devient sujet à des visions.

» Dans une ville comme Salem, la seconde en importance de la colonie, de semblables accusations se répandirent avec une merveilleuse rapidité. Beaucoup d’individus furent frappés de vertiges ; leurs visages et leurs membres furent contractés par d’effroyables contorsions, et ils devinrent un spectacle d’horreur pour ceux qui les approchaient. On leur demandait d’indiquer la cause de leurs souffrances ; et leurs soupçons ou leurs prétendus soupçons se portaient sur quelque voisin, déjà malheureux et abandonné, et pour cette cause en butte aux mauvais traitements des habitants de la ville. Bientôt les personnes favorisées de l’apparition surnaturelle formèrent une classe à part, et furent envoyées, aux dépens du public, à la recherche des coupables, qu’eux seuls pouvaient découvrir. Les prisons se remplirent des individus accusés. On s’entretint avec horreur d’une calamité qui n’avait jamais régné avec un tel degré d’intensité dans cette partie du monde, et, par une coïncidence malheureuse, il arriva qu’à cette époque beaucoup d’exemplaires de l’ouvrage de Baxter intitulé Certitude du monde des esprits parvinrent dans la Nouvelle-Angleterre. Des hommes honorables donnèrent crédit à cette ridicule superstition et entretinrent même la violence populaire par la solennité et l’importance qu’ils donnèrent aux accusations, et par le zèle et l’ardeur qu’ils déployèrent dans les poursuites. On observa dans cette occasion toutes les formes de la justice ; on ne manqua ni de juges, ni de jurés, grands ou petits, ni d’exécuteurs, encore moins de persécuteurs et de témoins. Du 10 juin au 22 septembre 1692, dix-neuf accusés furent pendus ; bien des gens avouèrent qu’ils pratiquaient la sorcellerie, car cet aveu paraissait la seule voie ouverte de salut. On vit des maris et des enfants supplier à genoux leur femme et leur mère de confesser qu’elles étaient coupables. On mit à la torture plusieurs de ces malheureuses en leur attachant les pieds au cou jusqu’à ce qu’elles eussent avoué tout ce qu’on leur suggérait.

» Dans cette douloureuse histoire, l’affaire la plus intéressante fut celle de Gilles Gory et de sa femme. Celle-ci fut jugée le 9 septembre et pendue le 22 ; dans cet intervalle on mit aussi le mari en jugement. Il affirma qu’il n’était point coupable. Quand on lui demanda comment il voulait être jugé, il refusa de répondre, selon la formule ordinaire, par Dieu et mon pays. Il observa qu’aucun de ceux qui avaient été précédemment jugés n’ayant été proclamé innocent, le même mode de procédure rendrait sa condamnation également certaine ; il refusa donc obstinément de s’y conformer. Le juge ordonna que, selon l’usage barbare prescrit en Angleterre, il fût couché sur le dos et mis à mort au moyen de poids graduellement accumulés sur toute la surface de son corps, moyen qu’on n’avait point encore mis en pratique dans l’Amérique du Nord. Gilles Gory persista dans sa résolution et demeura muet pendant toute la durée de son supplice. Tout s’enchaîna par un lien étroit dans cette horrible tragédie. Pendant fort longtemps