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de crainte d’être surpris, remontent quelques étages. Le capitaine, mal à son aise sous son lit, ne voyant plus les diables, se hâte de sortir de la maison. Sa peur et sa précipitation ne lui permettent pas de voir le sac, il le heurte, tombe dessus, se couvre de suie, se relève et descend avec-rapidité ; l’effroi de la populace augmente à sa vue : elle recule et lui ouvre un passage ; le docteur reconnaît son ami et se cache dans la foule pour l’éviter. Enfin un ministre, qu’on était allé chercher pour conjurer l’esprit malin, parcourt la maison, trouva les ramoneurs, les force à descendre, et montre les prétendus diables au peuple assemblé. Le docteur et le capitaine se rendirent enfin à l’évidence ; mais le docteur, honteux d’avpir, par sa sotte frayeur, démenti le caractère d’intrépidité qu’il avait toujours affecté, voulait rosser ces coquins qui, disait-il, avaient fait une si grande peur à son ami.

Vocératrices. Lorsqu’un homme est mort, en Corse, particulièrement lorsqu’il a été assassiné, on place son corps sur une table ; et les femmes de sa famille, à leur défaut des amies ou même des femmes étrangères connues par leur talent poétique, improvisent devant un auditoire nombreux des complaintes en vers, dans le dialecte du pays. On nomme ces femmes voceratrici, ou, suivant la prononciation corse, bucerairici, et la complainte s’appelle vocero, buceru, buceratu, sur la côte orientale ; ballata sur la côte opposée. Le mot vocero, ainsi que ses dérivés vocerar, voceratrice, vient du latin vociferare. Quelquefois plusieurs femmes improvisent tour à tour, et fréquemment la femme ou la fille du mort chante elle-même la complainte funèbre[1].

Voile. Chez les Juifs modernes, c’est une tradition qu’un voile qu’on se met sur le visage empêche que le fantôme ne reconnaisse celui qui a peur. Mais si Dieu juge qu’il l’ait mérité par ses péchés, il lui fait tomber le masque, afin que l’ombre puisse le voir et le mordre.

Voisin (la), devineresse qui tirait les cartes, faisait voir tout ce qu’on voulait dans un bocal plein d’eau et forçait le diable à paraître à sa volonté. Il y avait un grand concours de monde chez elle. Un jeune époux, remarquant que sa femme sortait aussitôt qu’il quittait la maison, résolut de savoir qui pouvait ainsi la déranger. Il la suit donc un jour et la voit entrer dans une sombre allée ; il s’y glisse, l’entend frapper à une porte qui s’ouvre, et, content de savoir ou il peut la surprendre, il regarde par le trou de la serrure et entend ces mots : — Allons, il faut vous déshabiller ; ne faites pas l’enfant, ma chère amie, hâtons-nous… La femme se déshabillait ; le mari frappe à la porte à coups rédoublés. La Voisin ouvre, et le curieux voit sa femme, une baguette magique à la main, prête à évoquer le diable… Une autre fois, une dame très-riche était venue la trouver pour qu’elle lui tirât les cartes. La Voisin, qui à sa qualité de sorcière joignait les talents de voleuse, lui persuade qu’elle fera bien de voir le diable, qui ne lui fera d’ailleurs aucun mal ; la dame y consent. La bohémienne lui dit d’ôter ses vêtements et ses bijoux. La dame obéit et se trouve bientôt seule, n’ayant qu’une vieille paillasse, un bocal et un jeu de cartes. Cette dame était venue dans son équipage ; le cocher, après avoir attendu très-longtemps sa maîtresse, se décide enfin a monter, monte et la trouve au désespoir. La Voisin avait disparu avec ses hardes ; on l’avait dépouillée. Il lui met son manteau sur les épaules et la reconduit chez elle.

On cite beaucoup d’anecdotes pareilles. Voici quelques détails sur son procès, tirés des relations contemporaines.

Vers l’an 1677, la fameuse Voisin s’unit à la femme Vigoureux et à un ecclésiastique apostat nommé Lesage, pour trafiquer des poisons d’un Italien nommé Exili, qui avait fait en ce genre d’horribles découvertes. Plusieurs morts Subites firent soupçonner des crimes secrets. On établit à l’Arsenal, en 1680, la chambre des poisons, qu’on appela la chambre ardente. Plusieurs personnes de distinction furent citées à cette chambre, entre autres deux nièces du cardinal Mazarin, la duchesse de Bouillon, la comtesse de Soissons, mère du prince Eugène, et enfin le célèbre maréchal de Luxembourg.

La Voisin, la Vigoureux et Lesage s’étaient fait un revenu de la curiosité des ignorants, qui étaient en très-grand nombre ; ils prédisaient l’avenir ; ils faisaient voir le diable. S’ils s’en étaient tenus là, il n’y aurait eu que du ridicule et de la friponnerie chez eux, et la chambre ardente n’était pas nécessaire.

La Reynie, l’un des présidents de cette chambre, demanda à la duchesse de Bouillon si elle avait vu le diable. Elle répondit : — Je le vois dans ce moment ; il est déguisé en conseiller d’État, fort laid et fort vilain.

Ce procès dura quatorze mois, pendant lesquels la comtesse de Soissons se sauva en Flandre. Le maréchal de Luxembourg fut acquitté, comme tous les personnages de condition impliqués dans cette affaire[2]. La Voisin et ses deux complices

  1. Prosper Mérimée, Colomba.
  2. Les grands personnages, dans ce procès, où ils se trouvaient mêlés à une canaille infâme, y allaient toutefois d’un ton fort dégagé. Madame de Bouillon, assignée pour répondre par-devant les commissaires de la chambre des poisons (en 1680), s’y rendit accompagnée de neuf carrosses de princes ou ducs ; M. de Vendôme la menait. M. de Bezons lui demanda d’abord si elle n’était pas venue pour répondre aux interrogations qu’on lui ferait. Elle dit que oui ; mais qu’avant d’entrer en matière elle lui déclarait que tout ce qu’elle allait dire ne pourrait préjudicier au rang qu’elle tenait, ni à tous ses privilèges. Elle m voulut rien dire ni écouter davantage que le greffier