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furent condamnés par jugement de la Chambre ardente à être brûlés en place de Grève.

On lit ailleurs que la Voisin, par ses relations avec le diable, sut son arrêt, chose assez extraordinaire, quatre jours avant son supplice. Cela ne l’empêcha pas de boire, de manger et de faire débauche. Le lundi, à minuit, elle demanda du vin et se mit à chanter des chansons indécentes. Le mardi, elle eut la question ordinaire et extraordinaire ; elle avait bien dîné et dormi huit heures. Elle soupa le soir et recommença, toute brisée qu’elle était, à faire débauche de table. On lui en fit honte ; on lui dit qu’elle ferait bien mieux de penser à Dieu et de chanter un Ave maris stella ou un Salve. Elle chanta l’un et l’autre en plaisantant et dormit ensuite. Le mercredi se passa de même en débauche et en chansons ; elle refusa de voir un confesseur. Enfin le jeudi on ne voulut lui donner qu’un bouillon ; elle en gronda, disant qu’elle n’aurait pas la force de parler à ces messieurs…

Elдe vint en carrosse de Vincennes à Paris. On la voulut faire confesser ; il n’y eut pas moyen d’y parvenir. À cinq heures on la lia, et avec une torche à la main elle parut dans le tombereau, habillée de blanc ; on voyait qu’elle repoussait le confesseur et le crucifix avec violence.

À Notre-Dame, elle ne voulut jamais prononcer l’amende honorable ; à la Grève, elle se défendit autant qu’elle put de sortir du tombereau. On l’en tira de force ; on l’a mit sur le bûcher, assise et liée avec des chaînes ; on la couvrit de paille. Là elle jura beaucoup, repoussa la paille cinq ou six fois ; mais enfin le feu monta et on la perdit de vue.

Voiture du diable. On vit pendant plusieurs nuits, dans un faubourg de Paris, au commencement du dix-septième siècle, une voiture noire, traînée par des chevaux noirs, conduite par un cocher également noir, qui passait au galop des chevaux, sans faire le moindre bruit. La voiture paraissait sortir tous les soirs de la maison d’un seigneur mort depuis peu. Le peuple se persuada que ce ne pouvait être que la voiture du diable qui emportait le corps. On reconnut par la suite que celle jonglerie était l’ouvrage d’un fripon, qui voulait avoir à bon compte la maison du gentilhomme. Il avait attache des feutres autour des roues de la voiture et sous les pieds des chevaux, pour donner à sa promenade nocturne l’apparence d’une œuvre magique.

Voix. Boguet assure qu’on reconnaît un possédé à la qualité de sa voix. Si elle est sourde et enrouée, nul doute, dit-il, qu’il ne faille aussitôt procéder aux exorcismes.

Sous le règne de Tibère, vers le temps de la mort de Notre-Seigneur, le pilote Thamus, côtoyant les îles de la mer Egée, entendit un soir, aussi bien que tous ceux qui se trouvaient sur son vaisseau, une grande voix qui l’appela plusieurs fois par son nom. Lorsqu’il eut répondu, la voix lui commanda de crier, en un certain lieu, que le grand Pan était mort. À peine eut-il prononcé ces paroles dans le lieu désigné, qu’on entendit de tous côtés des plaintes et des gémissements, comme d’une multitude de personnes affligées par cette nouvelle[1]. L’empereur Tibère assembla des savants pour interpréter ces paroles. On les appliqua à Pan, fils de Pénélope, qui vivait plus de mille ans auparavant ; mais, selon les versions les plus accréditées, il faut entendre par le grand Pan le maître des démons, dont l’empire était détruit parla mort de Jésus-Christ.

Les douteurs attribuent aux échos les gémissements qui se firent entendre au pilote Thamus ; mais on n’explique pas la voix.

Cette grande voix, dit le comte de Gabalis, était produite par les peuples de l’air, qui donnaient avis aux peuples des eaux que le premier et le plus âgé des sylphes venait de mourir. Et comme il s’ensuivrait de là que les esprits élémentaires étaient les faux dieux des païens, il confirme cette conséquence en ajoutant que les démons sont trop malheureux et trop faibles pour avoir jamais eu le pouvoir de se faire adorer ; mais qu’ils ont pu persuader aux hôtes des éléments de se montrer aux hommes et de se luire dresser des temples ; et que, par la domination naturelle que chacun d’eux a sur l’élément qu’il habite, ils troublaient l’air et la mer, ébranlaient la terre et dispensaient les feux du ciel à leur fantaisie : de sorte qu’ils n’avaient pas grand-peine à être pris pour des divinités.

Le comte Arigo bel Missere (Henri le bel Missere) mourut vers l’an 1000. Il avait combattu les Maures qui envahissaient la Corse. Une tradition prétend qu’à sa mort une voix s’entendit dans l’air, qui chantait ces paroles prophétiques :

È morto il conte Arigo bel Missere,
E Corsica sarà di maie in peggio[2].

Saint Clément d’Alexandrie raconte qu’en Perse, vers la région des mages, on voyait trois montagnes, plantées au milieu d’une large campagne, distantes également l’une de l’autre. En approchant de la première, on entendait comme des voix confuses de plusieurs personnes qui se

    n’eût écrit cette déclaration préliminaire. M. de Bezons la questionna sur ce qu’elle avait demandé à la Voisin. Elle répondit « qu’elle l’avait priée de lui faire voir des sibylles » ; et après huit ou dix autres questions d’aussi peu d’importance, sur lesquelles elle répondit toujours en se moquant, M. de Bezons lui dit qu’elle pouvait s’en aller. M. de Vendôme lui donnait la main, sur le seuil de la porte de celle chambre, elle s’écria « qu’elle n’avait jamais ouï dire tant de sottises d’un ton si grave ».

  1. Eusèbe, après Plutarque.
  2. Prosper Mérimée, Colomba.