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rés des lumières de la civilisation, une devineresse fait encore de grands bénéfices.

» On accusait autrefois les gypsys de causer la maladie et la mort des bestiaux. Cette accusation était certes fondée, lorsque nous voyons encore dans le dix-neuvième siècle les rommanys, en Angleterre et ailleurs, empoisonner réellement des animaux, dans le double but de se faire payer pour les guérir ou de profiter de leurs cadavres. On en a surpris jetant des poudres pendant la nuit dans les mangeoires des étables. Ils ont aussi des drogues à l’usage des porcs et les leur font avaler, tantôt pour les faire mourir subitement, tantôt pour les endormir : ils arrivent ensuite à la ferme et achètent les restes de l’animal, dont ils se nourrissent sans scrupule, sachant bien que leur poison n’a affecté que la tête et ne s’est nullement infiltré dans le sang et les chairs.

» Les zingarris ou Égyptiens d’Orient gagnent leur vie comme les autres, à soigner les chevaux, à faire les sorciers, à chanter et danser. C’est en Turquie qu’on les trouve en plus grand nombre, surtout à Constantinople, où les femmes pénètrent souvent dans les harems, prétendant guérir les enfants du mauvais œil et interpréter les rêves des odalisques. Parmi les zingarris, il en est qui font à la fois le commerce des pierres précieuses et des poisons : j’en ai connu un qui exerçait ce double trafic, et qui était l’individu le plus remarquable que j’aie rencontré parmi les zincalis d’Europe ou d’Orient. Il était né à Constantinople et avait visité presque toutes les contrées du monde, entre autres presque toute l’Inde ; il parlait les dialectes malais ; il comprenait celui de Java, cette île plus fertile en substances vénéneuses que l’Iolkos et l’Espagne. Il m’apprit qu’on lui achetait bien plus volontiers ses drogues que ses pierreries, quoiqu’il m’assurât qu’il n’était peut-être pas un bey ou un pacha de la Perse et de la Turquie auquel il n’eût vendu des deux. J’ai rencontré cet illustre nomade en bien des pays, car il traverse le monde comme l’ombre d’un nuage. La dernière fois, ce fut à Grenade, où il était venu après, avoir rendu visite à ses frères égyptiens des présides (galères) de Ceuta.

» Il est peu d’auteurs orientaux qui aient parlé des zingarris, quoiqu’ils soient connus en Orient depuis des siècles. Aucun n’en a rien dit de plus curieux que Arabschah, dans un chapitre de sa Vie de Timour ou Tamerlan, un des trois ouvrages classiques de la littérature arabe. Je vais traduire ce passage : « Il existe à Samarcande de nombreuses familles de zingarris, les uns lutteurs, les autres gladiateurs, d’autres redoutables au pugilat, ces hommes avaient de fréquentes discussions, et il en résultait de fréquentes batailles. Chaque bande avait son chef et ses officiers subalternes. La puissance de Timour les remplit de terreur, car ils savaient qu’il était instruit de leurs crimes et de leurs désordres. Or, c’était la coutume de Timour, avant de partir pour ses expéditions, de laisser un vice-roi à Samarcande ; mais à peine avait-il quitté la ville, que les bandes de zingarris marchaient en armes, livraient bataille au vice-roi, le déposaient et prenaient possession du gouvernement ; de sorte qu’à son retour, Timour trouvait l’ordre troublé, la confusion partout et son trône renversé. Il n’avait donc pas peu à faire pour rétablir les choses et punir ou pardonner les coupables. Mais dès qu’il partait de nouveau pour ses guerres ou pour ses autres affaires, les zingarris se livraient aux mêmes excès. Voilà ce qu’ils firent et recommencèrent trois fois, jusqu’à ce qu’enfin Timour arrêta un plan pour les exterminer. Il bâtit des remparts et appela dans leur enceinte tous les habitants grands et petits, distribua à chacun sa place, à chaque ouvrier son devoir, et il réunit les zingarris dans un quartier isolé ; puis il convoqua les chefs du peuple, et remplissant une coupe, il les fit boire et leur donna un riche vêtement. Quand vint le tour des zingarris, il leur versa aussi à boire et leur fit le même présent ; mais à mesure que chacun d’eux avait bu, il l’envoyait porter un message dans un lieu où il avait fait camper une troupe de soldats. Ceux-ci, qui avaient leurs ordres, entouraient le zingarri, le dépouillaient de son habit et le poignardaient, jusqu’à ce que le dernier de tous eut ainsi répandu l’or liquide de son cœur dans le vase de la destruction. Ce fut par cette ruse que Timour frappa un grand coup contre cette race, et depuis ce temps-là il n’y eut plus de rébellions à Samarcande. »

» Que faut-il croire de cette histoire ou de ce conte d’Arabschah ? Comment le mettre d’accord avec ceux qui veulent que les Égyptiens actuels soient les descendants des familles hindoues qui s’exilèrent de l’Inde pour fuir les cruautés de Timour ? Si c’est un conte, toutes les autres traditions peuvent lui survivre ; mais si ce récit est fondé lui-même sur une tradition historique plus ou moins vraie, nous y voyons les zingarris à l’état de peuple, établis dans Samarcande à une époque de la vie de Timour où il n’avait pas encore envahi l’Inde. D’un autre côté, si les zingarris réunis en Occident étaient les débris fugitifs du peuple égorgé à Samarcande, comment ont-ils eux-mêmes laissé ignorer ce malheur de leur race, au lieu de s’en servir pour exciter la sympathie ? En dernière analyse, il est plus facile de prouver qu’ils viennent de l’Inde que de Samarcande.

» Les zincalis ne sont pas seulement appelés, en Espagne, gitanos ou Égyptiens, on les appelle encore Nouveaux Castillans, Allemands, Flamands, termes à peu près synonymes dans la langue populaire, quant aux derniers du moins, et devenus également méprisants, quoiqu’ils aient pu servir primitivement à désigner leur origine, sans aucune intention outrageante.