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LE RESTE EST SILENCE…

cœur si gros que j’avais envie de pleurer. Une fois de plus, j’étais envahi d’une de ces mélancolies d’enfant, qui obéissent à des lois mystérieuses. De quoi étais-je attristé ? De la voix sèche de maman, du dur regard de l’inconnu, ou de l’ensemble de tout cela ? Il me semblait brusquement être abandonné de tous, dans un vaste monde dangereux, hostile, effrayant !

Je m’avançais à petits pas, n’osant me retourner, tenant mes dix centimes bien serrés dans ma main fiévreuse. J’arrivai enfin devant le kiosque à biscuits. Une grosse femme se tenait derrière son éventaire, affable et abondamment barbue. Des tables de jardin et des chaises de fer, rangées en rond, invitaient, par leur raideur et leur solitude, à des réflexions moroses. Une miss anglaise, anguleuse et couperosée, achetait des brioches à deux marmots minuscules et tout fiers d’être déguisés en hommes. J’attendais qu’elle eût fini, j’étais rouge de honte et mon cœur battait. Cela me semblait une chose énorme que d’aborder cette redoutable matrone et