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LE RESTE EST SILENCE…

je sentais que cette petite lettre avait seulement poussé jusqu’au drame une situation depuis longtemps orageuse et dont je revoyais derrière moi les menaçants éclairs.

Et, comme j’étais très malheureux, je me demandais si tout cela n’était pas un cauchemar et si je n’allais pas m’éveiller. Peut-être rêvais-je que j’étais ce Léon Meissirel dont la mère était trop jeune et trop jolie, et dont le père venait de sortir en faisant claquer la porte. Peut-être n’étais-je qu’un pauvre apprenti qui se lèverait dans un moment et regagnerait au plus tôt son atelier d’ébéniste ou de serrurier, où il lui faudrait tout le jour enlever au fil de sa varlope des copeaux d’or, enroulés et fins comme des cheveux de femme, ou dans la noire atmosphère d’une forge, tirer le soufflet au milieu du bruit terrible des marteaux et du cri rouge du fer battu. Ou bien, encore, n’allais-je pas tantôt me retrouver vieillard maussade, attristé d’avoir pu se croire encore enfant, et qui reverrait, devant la glace, sa barbe blanche, sa figure ridée et ses membres raidis et goutteux ?