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LE RESTE EST SILENCE…

ce qui s’était passé ? Peut-être en savait-elle plus long que nous. N’importe, nous protégions l’absente, et cela était en même temps très ridicule et très courageux.

— Vous pouvez servir, dit mon père.

Élise apporta la soupe. Quand elle fut au milieu de la table et qu’elle répandit, sous la suspension, sa fumée et son odeur, papa me dit doucement :

— Il faut manger.

Mais il ne remua point et je ne bougeai pas davantage. Nous nous regardions et nous n’osions rien nous dire. C’était la première fois que maman n’était pas présente à un repas, et que nous nous trouvions seuls ensemble, la première fois… C’était une chose terrible, et nous aurions voulu ne pas y penser — oui, mais le moyen ? Comment ne pas regarder cette place vide entre nos deux couverts ? Où était-elle, maman, dans le soir profond d’été, dont la brise fraîche entrait par la fenêtre ouverte et errait autour de nous, comme si elle aussi cherchait quelque chose qui n’y était plus ?…