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LE RESTE EST SILENCE…

robe, — celle que mon père aurait tant voulu qu’elle portât le dimanche…

À ce moment, l’inconnu m’examina de nouveau, comme en cherchant. Mes yeux trop bleus dans une figure brune, que lui rappelaient-ils ? Sans doute fixais-je sur lui le même regard étonné, curieux, indécis que l’enfant d’autrefois. Comment ne m’eût-il pas reconnu ? Ma ressemblance avec ma mère était si frappante ! Et comment n’en eût-il pas été troublé ? J’étais en grand deuil…

Il se leva brusquement et fit un pas vers moi, puis, se ravisant, il appela le garçon, et, comme il tardait à venir, je le vis qui s’impatientait. Il semblait plus triste encore. Avait-il devant les yeux sa jeunesse, sa tendresse, sa lâcheté, tant de souvenirs âcres et sombres ?

Quand il eut payé, il s’en alla sans tourner la tête vers moi, las et voûté… Et alors j’eus l’étrange pensée que cet homme était le seul être au monde — le seul ! — qui songeât encore parfois à celle qui n’avait pas cessé de vivre dans mon cœur.