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LE RESTE EST SILENCE…

posait aux ombres comme un bloc de clarté froide. Puis le carré seul de la fenêtre révélait une lueur crue. Au-delà, dans le ciel, quelques nuages s’allumaient d’un or factice ou se veinaient de rose… Ou bien encore, de longues écharpes jaunes ou bleuâtres flottaient avant de devenir de transparents voiles de crêpe. À la fin, la croisée elle-même se faisait vague ; le firmament, jusqu’alors vide, se remplissait lentement d’un sable imperceptible et sombre, devenait opaque et plein…

Maman jouait toujours. Je la voyais toute fine, toute mince, avec son profil si pur, se détacher sur ce fond. C’était alors par cœur qu’elle jouait. Le cahier restait ouvert devant elle, à une page qu’elle ne regardait pas.

La musique qui naît maintenant sous ses doigts, c’est dans son cœur, dans son passé qu’elle l’écoute. Elle vient d’autrefois, comme une revenante en robe démodée ; chaque note, chaque accord ressuscitent un souvenir, une espérance, une illusion, une chose qui lui souriait alors