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LE RESTE EST SILENCE…

— Je l’ignore, mais tu me caches « quelque chose… » Tu n’es pas dans ton assiette. Tu as beaucoup changé depuis six mois, tu n’es plus la même… Tu prends des airs qui ne me plaisent pas… Je ne sais pas ce que tu as, ajouta-t-il en remplissant une seconde fois son assiette des morceaux de cervelle, de quenelles et de veau, qui, agglomérés à une sauce épaisse et parfumée, donnaient une mollesse si onctueuse et si fondante à la pâte spongieuse du vol-au-vent.

— Mais je n’ai rien du tout, répliqua ma mère, qui commençait à s’impatienter.

— Tu as « quelque chose », répéta mon père, la bouche pleine. Tu es agacée, impatiente, fébrile, tantôt gaie et tantôt hargneuse. Ton caractère change. Ce sont tous ces sales livres que tu lis et ta satanée musique qui te détraquent les nerfs. Je ne te reconnais plus. Je crains que tu ne sois dans une mauvaise voie… Prends garde, Jeanne, prends garde !

L’air de mon père me parut suffisamment menaçant, et je n’étais pas rassuré.