Page:Jaloux - Le triomphe de la frivolité, 1903.djvu/17

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— Mon cher Raymond, me dit Madeleine, lorsqu’on lui permit de recevoir, je ne suis pas dupe de ce mieux. Ce matin, j’ai forcé Grandsaigne à confesser la vérité. Oh ! il faut lui rendre justice, il a menti tant qu’il a pu… Mais je lui ai tellement affirmé que j’avais des affaires pressantes à mettre en ordre, qu’il m’a avoué que c’est fini, tout-à-fait fini, que je n’ai plus à compter sur un sursis et que demain soir ou après-demain dans la nuit… pfffftt…

Elle fit du bout des lèvres un bruit d’ailes qui s’envolent.

— Il peut se tromper, répondis-je.

— C’est ce qu’il m’a assuré. Il n’a pas osé résister à ma prière, parce que je lui ai fait jurer, jadis, de me parler franchement quand l’heure serait venue, et qu’il me sait courageuse. Son serment l’engageait vis-à-vis de moi, mais pour s’en dégager, il m’a déclaré que la science des hommes est courte et que les prévisions logiques des médecins sont peu de chose en face de la Nature. Il peut avoir raison… Quoi qu’il en soit, je suis perdue, n’est-ce pas ? Aussi mettez-vous là, à mon bureau, et écrivez, je vous prie, une invitation à tous nos amis pour qu’ils viennent demain vers cinq heures, prendre encore une tasse de thé en ma compagnie…

— Quelle folie, Madeleine. Nous vous fatiguerons horriblement !

— On ne fatigue pas une agonisante, murmura-t-elle, en esquissant un sourire las.

Elle parlait avec beaucoup de peine, d’une voix haletante, en même temps rauque et voilée, et à peine perceptible. Cela faisait mal à enten-