Page:Jaloux - Le triomphe de la frivolité, 1903.djvu/29

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facile, où il y avait de la folie et des désirs amollissants, et la pitoyable sentimentalité des faubourgs, ritournelles propres à faire songer les adolescents des usines et pleurer des ouvrières, refrains qui donnent la nostalgie de bonheurs vulgaires, de chagrins amoureux, de pays de romances et de caresses théâtrales, et ce mélange de plaisir et de désenchantement que l’on respire dans les bals, à quatre heures du matin.

Ces musiques traînantes et fades berçaient les dernières pensées de Madame de Pleurre.

Nous demeurions inquiets et silencieux. Le parfum qui montait de tant de fleurs se faisait plus lourd, et il entrait par la fenêtre ouverte une odeur de feuilles, de terre et de fruits. Au fond du jardin, se levaient deux grands cyprès cylindriques qui semblaient des colonnes où s’appuyait le ciel. Au centre de la pelouse, une vasque de porphyre reflétait les bouquets de lauriers-roses, éblouissants de force et de vigueur, qui l’encadraient. Plus près de nous, fermant une terrasse dallée, une treille suspendait dans le demi-jour des grappes oblongues de raisins encore opaques et dont le vert acide tentait les satyres nus qui escaladaient les parois d’un large vase de bronze posé sur un socle.

Le soleil s’évanouissait. De petits nuages de nacre irisée, en forme de coquilles, étaient semés sur un fond qui avait les tons frais d’une chair. Une vaste conque de vapeur azurée se forma au-dessus du jardin, et l’on eût dit que de cette coupe laiteuse, Vénus allait se lever, éblouissante et nue, pour envahir tout le ciel de sa forme et cambrée et