Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/147

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ne gagnais, que nous courions à la ruine. Et sais-tu ? Je voulais voir si tu volerais !

Il recula comme un homme qui, dans une forêt, vient de mettre le pied sur le glissement renflé d’un serpent.

— Ce n’est pas toi qui as volé, Louis, dit-elle, c’est moi. C’est moi qui ai multiplié mes fantaisies et mes caprices, à mesure que je te voyais plus faible. Je détruisais chaque jour un peu plus de ta volonté, je t’affolais ! À côté de moi, de ma chair vivante, de ma réalité, qu’étaient-ils, ces principes abstraits sur lesquels reposait ta pauvre vie d’esclave ?

— Mais tu es… tu es… donc… un monstre ! balbutia Louis, hagard, ruisselant de sueur, sentant craquer autour de lui tout l’édifice de sa confiance, de son amour, de sa candeur. Et, sans s’en rendre compte, il éprouvait aussi une singulière déception, il avait cru se sacrifier pour elle, il n’était qu’un jouet entre ses mains toutes-puissantes, elle le dépossédait de son héroïsme, elle lui dérobait sa fierté d’avoir courageusement enfreint pour elle les lois humaines.

— Voyons, Louis, ne dis donc pas de bêtises. Je suis une femme, et voilà tout ! Je me suis amusée à voir ce que sont pour le plus honnête homme du monde, — ne l’es-tu pas ? — sa vertu et sa probité, lorsqu’une femme veut en voir la fin. Ah ! que tout cela a été peu de chose, Louis, en face de moi !

— Ah ! tais-toi, s’écria le pauvre Caillandre, supplicié, ne me dis pas des choses pareilles. Perdre en une minute toutes mes illusions sur toi ! Avoir enchaîné ma vie à celle d’une misérable ! Mais tu ne crois à rien, alors, ni à l’honneur, ni au nom des ancêtres, ni à la vertu, ni…

Ces tirades amusaient Cécile. Elle croyait entendre son oncle Théodore. Lui et Caillandre étaient bien faits pour se comprendre. Elle répondit en riant :

— Si, je crois à ton amour !

Louis la considéra avec effarement.

— Oui, je crois que tu m’aimes, mais je voulais en être sûre. Des mots, des caresses, qu’est-ce que tout cela signifie ? Il me fallait des preuves. Pour satisfaire mes caprices, pour envelopper ma vie de luxe et d’agrément,