Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/127

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Chiesa, Zaytsef à titre d’ami individuel très dévoué et très discret, et Chiesa parce qu’il nous était nécessaire sous bien des rapports et qu’il nous a réellement rendu de très bons services, sans nous avoir jamais fait repentir de notre confiance jusqu’ici. En outre le savaient encore le Dr Jacoby et sa femme à titre d’amis, et les Ostroga à titre de très anciens alliés et amis. Mais même le vénérable Paolo Gavirati, pour lequel j’ai un si profond respect, et qui m’a tant de fois prouvé son amitié inaltérable, même lui ne fut pas mis dans la confidence de notre secret[1].


Un jeune Russe nommé Débagori-Mokriévitch rendit visite à Bakounine dans le courant d’août 1873 (c’était Ross qui, sur sa demande, l’avait amené à Locarno). Il a publié dans ses Souvenirs le récit de cette visite, et on y trouve, au sujet de la Baronata, quelques indications que je transcris ici, à défaut d’une description que je ne pourrais faire moi-même, n’ayant jamais vu cette propriété dont on a tant parlé :


Bakounine[2] nous tendit les deux mains, et, respirant difficilement à cause de son asthme, se leva et se mit à s’habiller... Lorsqu’il eut fini sa toilette, nous sortîmes dans le jardin, où, sous une tonnelle, fut servi le déjeuner. Alors vinrent deux Italiens. Bakounine me présenta à l’un d’eux, qui n’était autre que Cafiero, son ami intime, qui a sacrifié toute une fortune assez considérable à la cause révolutionnaire italienne. Silencieux, il prit place à côté de nous, et se mit à fumer sa pipe. Entre temps arriva le courrier, et Bakounine commença à feuilleter toute cette masse de journaux et de lettres. Plus tard vint Zaytsef, l’ancien collaborateur de la revue la Parole russe...

Le deuxième jour après notre arrivée à Locarno, nous allâmes en bateau avec Bakounine visiter, à proximité de la ville, une maison achetée en son nom, et qu’il voulait nous montrer. Les révolutionnaires italiens l’avaient acquise dans le but d’y créer un lieu de refuge, en même temps que pour assurer la position de Bakounine à Locarno. Comme propriétaire, il ne pouvait être expulsé du canton[3], lors même que le gouvernement italien l’eût demandé... Nous traversâmes obliquement la baie, et nous abordâmes au rivage, qui s’élevait en rocs escarpés, couverts de broussailles. Nous montâmes un étroit sentier et, par une petite porte, nous entrâmes dans la propriété. La villa était une maison d’un étage, aux murs décrépits. La façade donnant sur le lac était plus élevée que celle de derrière, ainsi qu’il arrive pour les maisons bâties sur une pente. Les épaisses murailles de cette vieille bâtisse, qui me semblait fort peu habitable, lui donnaient l’air d’un petit fort. Lorsque nous pénétrâmes dans l’intérieur, une atmosphère humide et rance nous enveloppa. Les pièces de derrière étaient obscures, les fenêtres donnant sur la falaise où s’étendait un petit jardin

  1. Bakounine — pour des raisons qui m’échappent — crut devoir ne pas confier non plus à sa femme ce qui s’était passé entre Cafiero et lui. Il la laissa se figurer qu’il était devenu riche, qu’il était enfin entré en possession de l’héritage paternel ; elle ignora — jusqu’au 6 août 1874 — que le véritable propriétaire de la Baronata était Cafiero.
  2. Bakounine avait quitté depuis peu de temps l’Albergo del Gallo, et habitait dans la même maison que B. Zaytsef.
  3. C’est une erreur : les autorités suisses expulsent aussi bien, les étrangers propriétaires que les autres, lorsqu’un gouvernement en fait la demande.