Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/128

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cultivé. En revanche, la maison présentait beaucoup de commodité comme lieu de refuge. On pouvait se glisser inaperçu jusqu’au bord du lac, libre dans toutes les directions. Pour éviter la douane, on pouvait gagner l’Italie en canot...

Après avoir terminé l’inspection, nous descendîmes dans le sous-sol, où le gardien de la maison nous servit un repas composé de pain, de fromage, et de mauvais vin. À table, nous continuâmes la conversation. Bakounine était tout absorbé par la création d’un dépôt d’armes et d’un refuge à passages secrets, par lesquels, au besoin, on pourrait s’échapper. Il croyait à la possibilité d’une perquisition chez lui. Peut-être ne se fiait-il pas assez à la liberté suisse...

« Vous autres Russes, me dit-il, vous aurez besoin peut-être d’une imprimerie ambulante pour faire imprimer à l’étranger vos feuilles volantes. Eh bien, vous pourrez en installer une ici. » Mais aussitôt il changea de ton, et ajouta rudement : « Ah, ces conspirateurs russes ! Ils vont commencer à bavarder, et compromettre encore notre cause italienne. »

Ce reproche me fut désagréable, et je pris en mains la défense des Russes, d’une manière dont je ne puis me rappeler. Mais quelle fut mon émotion lorsque, après que j’eus fini mon apologie, Bakounine s’écria : « Eh quoi, ces Russes ! De tout temps ils ont prouvé qu’ils n’étaient qu’un troupeau ! À présent ils sont tous devenus anarchistes ! L’anarchie, chez eux, est pour le moment à la mode. Qu’il s’écoule quelques années encore, et l’on ne trouvera plus un seul anarchiste parmi eux ! »

Ces mots se fixèrent dans ma mémoire, et souvent, depuis, ils se sont représentés à mon esprit dans leur vérité prophétique.


Quittons la Baronata et Bakounine ; pour terminer ce chapitre, il me reste à dire ce qui s’était passé dans la Fédération jurassienne depuis le Congrès de Neuchâtel.


Notre Bulletin, qui parut, à partir de juillet 1873, tous les huit jours, et dans un format agrandi[1] publia, en tête de son numéro du 6 juillet, un article où nous disions :


Il y a dix-huit mois que le Bulletin de la Fédération jurassienne commençait sa publication. C’était alors une toute petite feuille autographiée, une circulaire plutôt qu’un journal. Nous éprouvions l’impérieux besoin d’appeler le grand jour de la publicité sur les odieuses attaques auxquelles les Sections du Jura étaient en butte de la part des hommes de l’ex-Conseil général depuis deux années. Tel fut le motif de cette publication. Dès le cinquième numéro, l’accroissement de nos ressources nous permit de remplacer l’autographie par la typographie. Le Bulletin imprimé continua l’accomplissement de la même tâche : démasquer l’intrigue autoritaire et attirer l’attention de toutes les Fédérations sur les funestes résultats de la Conférence de Londres, de triste mémoire. Le Congrès de la Haye, et l’énergique affirmation du principe fédératif, affirmation qui se produisit dans toutes les Fédérations vivantes et organisées, Amérique, Angleterre,

  1. Le format du Bulletin, lors de sa création en février 1872, et jusqu’à la fin de juin 1873, avait été de 0m, 21 X 0m, 27 ; de juillet 1873 à décembre 1874. il fut de 0m, 22 X 0m, 30. Un troisième agrandissement, en 1875, le porta à 0m,25,5 X 0m, 35.