Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/204

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l’Église, changeant de masque et faisant peau neuve, joue la comédie libérale destinée à donner le change aux naïfs ! Quel écœurant spectacle !


Dans les Montagnes neuchâteloises, le coullerysme, qui n’était pas mort[1], faisait une tentative pour se reconstituer en parti électoral. Un ancien rédacteur de la Montagne (la feuille que Coullery avait publiée de 1868 à 1870), Louis Jeanrenaud[2], venait de créer à la Chaux-de-Fonds un journal, subventionné par des politiciens conservateurs, la Jeune République, qui se donnait comme l’organe d’une « Association politique ouvrière ». Le Bulletin arracha aussitôt le masque à ces charlatans, en écrivant (29 mars) :


Il n’existe pas à la Chaux-de-Fonds d’autre organisation ouvrière que l’Internationale et la fédération ouvrière locale, dont l’action s’exerce sur le terrain économique, et qui sont bien décidées à ne pas donner la main aux partis politiques bourgeois. La Jeune République est tout simplement l’organe d’un groupe de banquiers, de fabricants, d’avocats et d’officiers d’état-major, les mêmes qui, il y a six ans, ont essayé d’escalader le pouvoir avec l’aide de Coullery, et qui aujourd’hui font une nouvelle tentative. Peine perdue, messieurs, la ficelle est usée !


Les élections au Grand-Conseil neuchâtelois devaient avoir lieu le 19 avril. La Jeune République publia une liste de sept candidats ouvriers (sur 23 députés que nommait alors le collège électoral de la Chaux-de-Fonds) qu’elle recommandait aux suffrages des électeurs ; ces sept candidats furent inscrits en même temps sur la liste du parti conservateur. Mais la manœuvre réussit encore moins qu’en 1868 : « Quelques personnalités intrigantes de la Chaux-de-Fonds avaient essayé de fabriquer un socialisme électoral, réédition de celui de Coullery de piteuse mémoire, avec l’espoir de gagner quelques voix d’ouvriers pour le parti conservateur. Cette manœuvre a fait un fiasco complet, et les entrepreneurs de la Jeune République en sont pour leur courte honte. » (Bulletin du 20 avril 1874.)

Les rapports de solidarité entre les organisations ouvrières de la Suisse allemande et celles de la Suisse française étaient en voie de progrès. Le Comité central de l’Arbeiterbund, ayant entrepris un travail de statistique sur les salaires et les heures de travail, envoya à divers membres de la Fédération jurassienne des formulaires à remplir, et le Bulletin, dans un article sympathique, « engagea ses amis à coopérer dans la mesure de leurs forces à cette entreprise » (18 janvier). La Tagwacht de Zürich paraissait se rapprocher de nous ; ce journal publia un article révolutionnaire (que le Bulletin reproduisit, 15 février) où il montrait la bourgeoisie suisse sympathisant avec les gouvernements despotiques et avec le militarisme employé pour comprimer le prolétariat ; il annonçait une révolution prochaine, que la bourgeoisie suisse eût pu éviter si elle avait voulu consentir à s’associer à l’œuvre véritablement républicaine de l’émancipation des opprimés ; « Mais elle ne le fera pas ; elle continuera à repousser obstinément toute réforme, elle accumulera de la sorte chez les ouvriers un océan de haines et de colères, et elle ira ainsi jusqu’au jour où rouleront sur sa tête les flots du déluge populaire ». Dans un autre

  1. Il vit, hélas ! encore aujourd’hui (1909).
  2. Dans les articles de l’Égalité de Genève où, en 1869, Bakounine avait si rudement flagellé Coullery et ses complices de la Montagne, il avait parlé de Louis Jeanrenaud en ces termes : « Les principaux rédacteurs de la Montagne, avec M. le docteur Coullery, sont M. Louis Jeanrenaud (un mômier, qui, différent en cela de beaucoup d’autres, ne s’est jamais caché de l’être, et que tout le monde connaît à la Chaux-de-Fonds, à Neuchâtel et au Locle comme l’un des membres les plus zélés et les plus fanatiques de cette secte anti-rationnelle, anti-socialiste et anti-humanitaire), M. Perrochet et M. Henri Dupasquier, représentants tous les deux de l’ancien parti royaliste ».