Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/205

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article, la Tagwacht critiqua la tactique des radicaux à l’égard de l’ultramontanisme, en montrant que « le cléricalisme, sous toutes ses formes, ne peut être vaincu que par un seul principe, le socialisme » ; le Bulletin, en reproduisant l’article (22 février), écrivit : « Nous sommes heureux de nous trouver une fois de plus en complète communauté d’idées avec les socialistes zuricois ».

Sur un point, en particulier, la Tagwacht nous étonna par l’adoption d’une tactique presque conforme à la nôtre : ce fut au sujet du vote par lequel le peuple suisse était appelé à sanctionner, le 19 avril, un projet de revision de la constitution fédérale, élaboré par les deux Chambres. Ce projet, un peu moins centraliste que celui qui avait été rejeté en 1872, paraissait avoir des chances d’être adopté ; mais, chose singulière, les ouvriers socialistes de la Suisse allemande s’en désintéressaient, et le Bulletin fit cette remarque (29 mars ) :


L’attitude de la Tagwacht dans cette circonstance est caractéristique. Elle déclare que, les opinions étant très partagées parmi les ouvriers au sujet du projet de constitution fédérale, elle gardera la neutralité dans cette question, tout en laissant à ses divers correspondants la liberté de soutenir le pour ou le contre dans les colonnes du journal.

Ainsi, dans la question politique la plus importante qui puisse préoccuper la Suisse, voilà la Tagwacht qui pratique le système de l’abstention : car c’est de l’abstention, et rien autre chose, que de déclarer qu’on restera neutre, qu’on ne recommandera pas de voter non, et qu’on ne recommandera pas non plus de voter oui.


Quand le résultat du vote fut connu, le Bulletin (20 avril) l’apprécia en ces termes :


La revision fédérale a été acceptée par la majorité du peuple suisse et par la majorité des cantons : c’était un résultat prévu par tout le monde. Il est inutile d’essayer de lutter, sur le terrain politique, contre l’irrésistible courant qui porte l’État bourgeois, c’est-à-dire l’État radical, vers la centralisation. Ce ne sera que par la révolution économique, qui détruira les États politiques, qu’il sera possible de faire triompher le principe d’autonomie et de fédéralisme, qui est celui de la civilisation de l’avenir.


Cependant un petit fait nous montra que la mentalité de la plupart des socialistes de la Suisse allemande était encore fort éloignée du point où nous eussions voulu la voir. Le Congrès annuel de l’Arbeiterbund devant se réunir à Zürich à la Pentecôte, le Comité de cette association demanda au gouvernement zuricois, pour les séances du Congrès, la jouissance de la salle du Grand-Conseil, et le gouvernement l’accorda ; mais une protestation, qui se couvrit aussitôt de plus de dix mille signatures, invita le Grand-Conseil zuricois à casser la décision du gouvernement. En vain les chefs de l’Arbeiterbund cherchèrent-ils à conjurer l’orage en se faisant petits et inoffensifs, en déclarant, dans la Tagwacht, qu’ils n’avaient rien de commun avec l’Internationale et la Commune, et que c’était leur faire tort que de les rendre responsables de doctrines qu’ils désavouaient ; le Grand-Conseil zuricois annula, par 98 voix contre 94, la décision du gouvernement cantonal. « La tactique de la Tagwacht n’a servi de rien, écrivit le Bulletin (17 mai) ; la bourgeoisie zuricoise a fort bien compris que toute association ouvrière qui fait de la résistance au capital ne fait qu’appliquer les doctrines de l’Internationale, et l’Arbeiterbund se voit, bon gré mal gré, déclaré solidaire de la grande Association socialiste des travailleurs du monde entier. Nous lui conseillons d’en prendre tranquillement son parti : c’est ce qui pouvait lui arriver de mieux. »