Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/219

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grévistes : « Nous avons été heureux de constater que la division qui avait paru exister entre certains groupes ouvriers dans les dernières luttes électorales a fait place à une entente complète lorsqu’il s’est agi de la défense des intérêts ouvriers » (Bulletin, 17 mai).

En juin, les ouvriers menuisiers de Genève furent victimes d’un lock-out patronal : la Section des menuisiers de Genève, adhérente à l’Internalionale (cette même Section dont l’ancien meneur, Duval, était allé à la Haye en 1872 renforcer les rangs de la majorité), nous écrivit pour demander l’appui de la Fédération jurassienne, et le Bulletin publia cet appel en tête de ses colonnes (7 juin) ; aussitôt la solidarité se manifesta de façon éclatante : des souscriptions furent ouvertes dans nos sections, et des secours arrivèrent même de l’étranger (les associations ouvrières de Bruxelles envoyèrent un millier de francs) ; de nouvelles lettres de la Section des menuisiers (20 juillet, 10 août) prièrent le Comité fédéral jurassien de faire continuer les souscriptions, attendu la position critique des grévistes. L’issue de cette grève, qui se prolongea encore pendant des mois, ne fut pas heureuse : les patrons, profitant du chômage qui régnait à Lyon, firent venir de cette ville cent cinquante ouvriers qui prirent la place des grévistes ; néanmoins, quinze ateliers consentirent à adopter le travail à l’heure. « Nous l’avons dit souvent : l’utilité de la grève n’est pas tant dans les petits avantages matériels, obtenus aujourd’hui et reperdus le lendemain ; elle est avant tout dans l’agitation qu’elle crée et qui facilite le groupement des ouvriers, dans le sentiment de solidarité qu’elle éveille, enfin dans la conscience qu’elle fait naître, chez des ouvriers restés jusque-là indifférents, de l’opposition de leurs intérêts avec ceux de leurs patrons. Une chose nous a frappés en parcourant le bilan de la grève : les secours reçus de Genève même par les grévistes ne forment qu’une somme de 287 fr. 75, tandis que ceux reçus du reste de la Suisse et de l’extérieur (France, Belgique, Angleterre) s’élèvent à 2755 fr. 10. À quoi faut-il attribuer, dans cette circonstance, l’abstention des riches sociétés de la fabrique de Genève ? » (Bulletin du 20 décembre 1874.)

En juin également, les charpentiers de Lausanne déclarèrent la grève et remportèrent une victoire presque immédiate.

Le Bulletin (24 mai) publia un article (de Schwitzguébel) sur les fédérations de métier[1], indiquant d’après quels principes devait être constituée la fédération des sociétés de résistance d’un même métier :


L’autonomie du groupe est le point de départ naturel de toute organisation ouvrière ; la fédération, pour être réelle, vivante, doit être le produit de l’action des groupes autonomes. Si, au contraire, on voulait prendre pour point de départ théorique la fédération, et lui subordonner les groupes comme des accessoires, ce serait supposer un être qui aurait lui-même à se créer, en créant tout d’abord les parties qui doivent le composer : c’est la conception des théologiens et des autoritaires ; la science sociale en fera complètement justice.

Toute l’organisation de la fédération de métier ne peut donc être fondée que sur l’autonomie et l’initiative des groupes qui la composent ; liberté d’organisation, et d’administration pour chaque section. S’il n’y a pas identité d’intérêts entre les sections, la fédération n’est pas possible ; et, dès qu’il y a identité d’intérêts, les mêmes besoins appellent la même organisation et la même action ; les détails pourront différer, mais le principe fondamental sera, de fait, le même.

  1. Extrait d’un rapport présenté au Congrès jurassien des 26 et 27 avril au nom de la Section des graveurs et guillocheurs du district de Courtelary : voir ci-dessus p. 180.