Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/232

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vahir vers les deux heures du matin les rues de Bologne : après une attente vaine, il comprit que le mouvement avait avorté, et songea au suicide ; Silvio Fr., survenant à ce moment (3 h. 40 du matin), l’empêcha de se brûler la cervelle, en lui disant que tout n’était pas perdu, et que d’autres tentatives pourraient encore avoir lieu. Dans la journée du 8, de nombreuses arrestations lurent faites à Bologne, à Imola, et dans toute la Romagne et les Marches ; il en fut de même à Florence, à Rome, et sur divers autres points de l’Italie. Le soir de ce jour, Silvio Fr. conduisit Bakounine dans une autre retraite chez C**. Le 9 (dimanche) au matin, Silvio partit pour Locarno, porteur d’une lettre en russe pour Mme  Cafiero[1] et d’une autre lettre en français pour Bellerio ; voici cette seconde lettre :


Ce 9 août.

Mon cher Emilio, Je te recommande cet ami, qui m’a rendu et continue de me rendre de précieux services dans une position très critique. Il mérite une confiance absolue. Fais-le mener au plus vite chez Mme  Charles. Si elle n’y était plus, fais lire la lettre par Ross. S’il n’y est plus, au pis-aller par Zaytsef, sous le sceau d’un secret absolu, et fais-la traduire par lui.

Mon ami, mon frère, c’est avec terreur que je te demande des nouvelles d’Antonie et du père. Dis-lui que parmi toutes les tortures qui m’assaillent, celle de l’avoir abandonnée dans une position si pénible est la plus cruelle. Mais je n’avais pas de choix ; après avoir lu ma grande lettre, tu auras dit avec moi que j’ai fait ce que j’ai dû faire.

Ton dévoué jusqu’à la mort.

M. B.

Embrasse bien de ma part ton excellente Antoinette[2], mon amie. S’il n’est pas trop tard, fais de sorte que personne ne sache que je suis en Italie.


Le journal contient ce qui suit sur les journées du 9 au 14 et le retour de Bakounine en Suisse : « 9 dimanche... Moi soir transporté chez Ta. — 10 lundi. Chez Ta. viennent me voir F. G. et Ca.[3] — 11 mardi. Ca. et F. G. ; puis Ca. avec Natta. Puis, Natta sorti, revient Silvio de Locarno[4], avec billet de Ross, toujours canaille. Silvio et Ca. vont chercher Natta ; ils viennent. Conseil ; mon départ et celui de Natta avec moi décidé. Dormons tous chez C**. — 12 mercredi. Vient Ca., puis je m’habille en chanoine[5] et après dîner pars avec Ta. en chemin de fer ; à Modène vient Natta ; arrivé soir à Vérone, y couche fort mal. — 13 jeudi. Voyagé de Vérone à Lecco ; pris une chambre avec Natta, dormi ; dîné, bu de l’asti ; bateau à vapeur ; pris diligence à Colico. — 14 vendredi. A 7 h. matin arrivée à Splüngen, hôtel Bodenhaus. Télégraphié immédiatement à Locarno. » Le télégramme était adressé à Zaytsef, pour que celui-ci prévînt Cafiero ; le 15, autre télégramme à Bellerio, puis trois lettres successives à celui-ci, du 15 au 18 ; télégrammes et lettres restèrent sans réponse. Bakounine croyait, paraît-il, qu’il serait encore possible de tenter un mouvement à Florence, et avait l’intention de se rendre dans cette ville avec Natta,

  1. Cette lettre contenait une demande d’argent.
  2. Mme  Emilio Bellerio, née Rusca.
  3. Ce « Ca. » est une autre personne que « C** » mentionné plus haut et de nouveau plus loin.
  4. Silvio rapportait de Locarno l’argent dont Bakounine avait demandé l’envoi.
  5. Pour se déguiser en prêtre, Bakounine s’était fait raser et avait mis des lunettes vertes ; il marchait en s’appuyant sur une canne, et portait à la main un petit panier contenant des œufs.