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lignes fort sèches. Ross répondit, le 18 décembre, par une lettre de douze pages, que je n’ai pas lue, mais dont le contenu (à ce que Ross lui-même m’a raconté en 1904) était une explication détaillée de sa conduite, de juillet à septembre 1871. Il y demandait aussi à Bakounine (d’après ce que m’a dit Nettlau, qui a eu connaissance de cette lettre après l’achèvement de la « Biographie »), où en était la rédaction de ses mémoires ; il y parlait d’une brochure « sur l’organisation, que tu avais commencé à écrire et dont tu m’avais parlé quand nous étions ensemble à... [un mot illisible] »[1] ; et il offrait de lui envoyer de l’argent. J’ignore si Bakounine fit une réponse à cette apologie ; mais, — comme je l’ai déjà dit, — en dépit de ce qu’il avait écrit le 21 octobre, « l’amitié n’était pas morte » entre Ross et lui ; et les circonstances ultérieures en donnèrent la preuve. Pour le moment, Ross quitta Zürich et s’en retourna à Londres, où il passa l’hiver.




XI


De janvier à juin 1875.


Dans ce chapitre, je passerai en revue les événements de la première moitié de 1875.

En Espagne, l’année s’ouvrit par la nouvelle du pronunciamiento du général Martinez Campos en faveur d’Alphonse XII, à Sagonte (30 décembre 1874). La restauration monarchique s’accomplit sans aucune tentative de résistance de la part du gouvernement de Serrano, et au milieu de l’indifférence des masses. Notre correspondant de Barcelone (Farga-Pellicer) nous écrivit : « Nous avons eu ici le spectacle d’un gouverneur qui, le matin, en annonçant la nouvelle de l’insurrection militaire, disait que la Restauration était impossible, et que les insurgés étaient des traîtres, et qui, le soir du même jour, en annonçant la formation d’un ministère de régence dirigé par Canovas del Castillo, déclarait que toute manifestation contraire au nouveau gouvernement serait réprimée par la force, au nom de l’ordre public ». Le correspondant appréciait ainsi la période de six années qui venait de se terminer, et la perspective qu’offrait l’avenir : « La période issue de la révolution de 1868 a été une parenthèse qui s’est ouverte par la chute de la mère, et qui se ferme par le retour du fils. Cette période a été pour le peuple un grand enseignement... Tous nos partis soi-disant révolutionnaires — qui prétendaient faire une révolution et se montraient épouvantés de ses conséquences, en sorte que, par crainte de la révolution, nous avons vu les plus avancés donner la main aux plus rétrogrades — ont été réactionnaires, et ils nous ont nécessairement ramenés au point de départ... Ceux qui ont la force en mains, c’est-à-dire l’immense majorité des chefs de l’armée, ont accepté la restauration ; les chefs des autres partis, afin de ne pas troubler l’ordre, ne feront pas de résistance, et, quant au peuple, les républicains se chargeront bien de le désarmer, soit en le trompant, soit en employant la force. À en juger par là, il vous semblera peut-être que le nouveau régime a des garanties de stabilité ? Pour moi, sans crainte de me tromper, je crois qu’il sera tout aussi provisoire que ceux qui l’ont précédé. » (Bulletin du 17 janvier 1875.)

La presse avait annoncé qu’à l’entrée du jeune roi à Barcelone, vingt mille ouvriers de cette ville étaient allés lui rendre hommage. Farga démentit cette fable en nous écrivant ce qui suit : « Je puis vous certifier que cette histoire des vingt mille ouvriers est une fausseté, car je connais dans tous ses détails le fait qui lui a donné naissance. Dans les prisons de Barcelone se trouvait un

  1. C’est probablement la « brochure russe » dont parle Bakounine dans son journal, les 19 et 20 septembre 1874 (voir ci-dessus, p. 237).