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absolument voulu l’accompagner afin d’avoir soin de lui, prit place à ses côtés dans la voiture[1]. Le même jour Mme  Antonia partait pour Rome. Bakounine arriva à Berne le 14 juin au soir ; Adolphe Vogt l’attendait à la gare ; le malade lui dit : « Je suis venu à Berne pour que tu me remettes sur mes pieds, ou que tu me fermes les yeux ». Il fut conduit immédiatement par Vogt et son fils dans une clinique (J. L. Hug-Braun’s Krankenpension, Mattenhof, n° 317), où Reichel et sa femme s’empressèrent d’aller le voir ; à Mme  Reichel, il dit en russe : « Macha (Marie), je suis venu ici pour mourir[2]. »

La venue de Bakounine à Berne et son séjour dans cette ville étaient restés ignorés de nous tous. Ce fut seulement l’avant-veille de sa mort qu’une étudiante russe apprit par hasard la présence du malade à la clinique du Mattenhof ; elle communiqua la nouvelle à Brousse, qui me l’écrivit aussitôt (voir p. 32).




III


Du milieu de juin au 1er juillet 1876.


D’Espagne, nous reçûmes par un ami, vers la fin de juin, des nouvelles des déportés des îles Mariannes :

« Une lettre — dit le Bulletin — nous apprend qu’une centaine de déportés des îles Mariannes ont débarqué dernièrement à Cadix. On leur avait promis la liberté à la condition qu’ils prendraient du service comme volontaires dans la guerre contre les Indiens révoltés du Iolo. L’expédition à laquelle ils ont pris part s’est terminée à l’avantage du gouvernement, qui a tenu parole, et a rompu les chaînes de ceux qui n’ont pas succombé dans la lutte. Il faut entendre — ajoute notre correspondant — le récit de leurs souffrances et de celles des malheureux qui n’ont pas voulu acheter leur liberté en se battant pour le gouvernement, même contre les Indiens, et qui sont restés sur leurs rochers déserts. La presse s’occupe beaucoup des déportés de la Nouvelle-Calédonie ; mais les malheureux qui, depuis trois ans, gémissent abandonnés, sans vêtements et sans secours, dans les îlots des Mariannes, sont presque oubliés par l’opinion publique de l’Europe. Ils sont pourtant là quatorze cents qui souffrent pour une idée généreuse. Un grand nombre d’entre eux sont des membres de l’Internationale. Sans doute, il n’est pas possible en ce moment de rien faire pour eux ; mais un mot de sympathie, du moins, serait doux à leurs oreilles, et les aiderait à conserver le courage dont ils ont besoin, en leur faisant voir qu’on pense à eux, et que le jour de la réparation n’est peut-être pas aussi éloigné qu’ils peuvent se le figurer dans leur isolement.

« Jusqu’à présent l’occasion ne s’était presque jamais présentée, en effet, d’entretenir nos lecteurs des infortunés déportés des îles Mariannes, si dignes des sympathies des socialistes ;... nous espérons qu’une main amie réussira à leur faire parvenir ce numéro du Bulletin, dans lequel leurs frères d’Europe leur crient : Courage et espérance ! »

Peu de jours après, une nouvelle lettre nous apprenait de quelle façon le gouvernement espagnol entendait l’amnistie :

« À peine les malheureux déportés, qui avaient cru de bonne foi racheter leur

  1. C’est par erreur que Mme  A. Bauler dit que, Bakounine ayant refusé de consentir à ce que Santandrea l’accompagnât, celui-ci renonça à son projet.
  2. Le récit fait par Arthur Arnould du départ et de la mort de Bakounine est un pur roman : « Pourchassé — dit Arnould — par une meute de créanciers déchaînés,... Michel Bakounine partit nuitamment, par le chemin de fer, afin de se réfugier dans un canton du centre de la Suisse. En route, foudroyé par une attaque de paralysie générale (sic), il expira seul, abandonné, loin de tous les siens, sans pouvoir prononcer une parole, sans un ami pour lui serrer la main et lui fermer les yeux, dans la chambre froide et banale d’un hôtel garni. »