Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/452

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vérité, la base même de notre théorie sur le développement des êtres animés : à savoir que les changements, dans la nature, ne s’opèrent point par brusques sauts, mais par un mouvement continu et presque insensible. Nous savons que ce n’est pas en un jour que l’homme est sorti de l’animalité, et que tout changement, tout progrès demande du temps pour s’accomplir.

« Cette loi s’applique aujourd’hui même sous nos yeux : la société moderne subit une transformation lente ; des idées nouvelles s’infiltrent dans les masses, des besoins nouveaux réclament satisfaction, de nouveaux et puissants moyens d’action sont mis tous les jours à la disposition de l’humanité. Cette transformation s’accomplit peu à peu, c’est une évolution insensible et graduelle, tout à fait conforme à la théorie scientifique ; mais, chose dont ceux à qui nous répondons ici ne tiennent pas compte, l’évolution en question n’est pas libre ; elle rencontre une opposition souvent violente ; les intérêts anciens qui se trouvent lésés, la force de résistance qu’oppose l’ordre établi, mettent obstacle à l’expansion normale des idées nouvelles ; celles-ci ne peuvent se produire à la surface, elles sont refoulées, et leur opération, au lieu d’être complète, est forcément réduite à un travail de transformation intérieure, qui peut durer de longues années avant de devenir apparent. Extérieurement, rien ne semble changé ; la forme sociale est restée la même, les vieilles institutions sont debout ; mais il s’est produit, dans les régions intimes de l’être collectif, une fermentation, une désagrégation qui a altéré profondément les conditions mêmes de l’existence sociale, ensorte que la forme extérieure n’est plus l’expression vraie de la situation. Au bout d’un certain temps, la contradiction devenant toujours plus sensible entre les institutions sociales, qui se sont maintenues, et les besoins nouveaux, un conflit est inévitable : une révolution éclate.

« Ainsi, l’œuvre de transformation a été bien réellement graduelle et progressive; mais, gênée dans ses allures, elle n’a pu s’accomplir d’une façon régulière et modifier au fur et à mesure les organes sociaux ; elle reste forcément incomplète, jusqu’au jour où, les forces nouvelles se trouvant, par une accumulation successive d’accroissements constants, en état de surmonter la résistance des forces anciennes, une crise se produit, et les obstacles sont emportés.

« Ce n’est pas en un jour que le flot grossit au point de rompre la digue qui le contient : l’eau monte par degrés, lentement ; mais une fois qu’elle a atteint le niveau voulu, la débâcle est soudaine, et la digue s’écroule en un clin d’œil.

« Il y a donc deux faits successifs, dont le second est la conséquence nécessaire du premier : d’abord, la transformation lente des idées, des besoins, des moyens d’action au sein de la société ; puis, quand le moment est venu où cette transformation est assez avancée pour passer dans les faits d’une manière complète, il y a la crise brusque et décisive, la révolution, qui n’est que le dénouement d’une longue évolution, la manifestation subite d’un changement dès longtemps préparé et devenu inévitable[1]. »

  1. Idées sur l’organisation sociale, par James Guillaume, 1876, pages 5-7.