Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/532

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pouvons pas employer ce même moyen, la politique, pour détruire l’inégalité ». Il y a là matière à réflexions, mais nous n’y voyons aucun motif de nous combattre les uns les autres. »

Comme on le voit, le Comité central de l’Arbeiterbund pense comme nous sur la question d’avenir : son idéal est une société anti-autoritaire, dans laquelle on ne fera plus de politique, parce que la politique n’a sa raison d’être que dans une société fondée sur l’inégalité[1]. Dès que ce principe est admis, la question de tactique devient en effet secondaire : les uns pensent qu’il faut battre la bourgeoisie avec l’arme même qu’elle emploie contre nous, avec la politique ; les autres, les Jurassiens, disent, non pas — comme on le leur fait dire — qu’il ne faut pas faire de politique, mais qu’à la politique bourgeoise on ne peut opposer d’autre arme efficace que la révolution sociale. Il y a là une question de tactique à débattre : mais il n’y a pas de quoi se traiter en adversaires, — bien au contraire !

Il est naturel qu’une pareille manière de poser la question, de la part du Comité central de l’Arbeiterbund, ne pouvait convenir au rédacteur de la Tagwacht, dont on connaît les sentiments à l’égard des Jurassiens. Aussi s’empressa-t-il d’ajouter à l’article du Comité central une note où on lisait :

« Il est à peine nécessaire de faire remarquer que l’appréciation du Comité central relativement aux Jurassiens est en contradiction complète avec la nôtre. On peut consulter à cet égard l’article que nous publions sous le titre : L’État. »

Cet article L’État est une longue amplification, [écrite par Greulich[2], et] qui a paru, par tranches indigestes, dans six numéros consécutifs de la Tagwacht. L’auteur a eu la prétention de faire une réfutation en règle de notre théorie de l’État. Nous ne songeons pas à répondre à cet article dans les colonnes du Bulletin : ce serait entamer une polémique tout à fait inutile, puisque les lecteurs du Bulletin n’ont pas lu la Tagwacht. Nous laisserons donc ce soin à l’Arbeiter-Zeitung.


Dans le même numéro, le Bulletin signalait un « Appel aux citoyens suisses » publié à Berne, en allemand, par un groupe de membres de l’Arbeiterbund, à l’occasion d’un acte arbitraire commis par un patron envers deux ouvriers. Cet « Appel », dont l’auteur était Karl Moor, contenait la diatribe suivante contre la Fédération jurassienne et ses doctrines :

« Tout ceux qui connaissent tant soit peu l’état des choses, savent qu’il existe en Suisse deux fractions socialistes, les Sozial-Demokraten, qui comptent six à sept mille adhérents formant l’Arbeiterbund, et les anarchistes du Jura, qui ont aussi à Genève, à Berne, etc., quelques ramifications isolées, et qui cherchent à dissimuler leur petit nombre et leur complète insignifiance dans le mouvement ouvrier vivant, en faisant d’autant plus de bruit. Ici à Berne, ils comptent environ cinquante adhérents, tandis que les membres de l’Arbeiterbund y sont au nombre de sept à huit cents[3]. Or la tactique des feuilles bour-

  1. Marx —je l’ai déjà fait remarquer — a dit les mêmes choses dans la Misère de la philosophie (1847, p. 177).
  2. Greulich se croit un disciple de Marx, et il ne s’est jamais douté que celui qu’il appelle son maître était, en théorie, un « anti-étatiste ».
  3. Nous ne voudrions point chercher à déprécier l’importance de l’Arbeiterbund en le chicanant sur le chiffre de ses adhérents ; au contraire, nous serions heureux que les chiffres indiqués là fussent vrais, parce que nous savons qu’un jour ou l’autre les ouvriers dont l’Arbeiterbund ébauche l’éducation socialiste viendront à l’Internationale. Mais nous devons cependant faire observer qu’à Berne, une statistique publiée dans la Tagwacht du 17 février 1877 n’indique que 185 membres actifs de l’Arbeiterbund, et que le chiffre total, pour la Suisse, des membres de l’Arbeiterbund qui ont pris part à la dernière votation générale faite dans le sein de cette association n’excède guère 2000, répartis dans 69 sections. (Note du Bulletin.)