Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/535

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à tous nos amis de rejeter la proposition d’inviter les Jurassiens, et d’accepter par contre celle d’inviter la Société du Grütli. »

Est-ce assez clair ? Et les socialistes flamands, par exemple, qui paraissent se faire en ce moment une idée assez inexacte de ce qui se passe en Suisse, ouvriront-ils cette fois les yeux ? Les politiqueurs de Genève repoussent la Fédération jurassienne, parce qu’elle est socialiste, internationale et révolutionnaire ; ils recherchent l’alliance de la Société du Grütli (composée uniquement de Suisses allemands), parce que cette Société est politique, nationale et bourgeoise. Qui se ressemble s’assemble !


Dans un autre article du même numéro, le Bulletin signalait l’attitude prise par le Comité de l’Arbeiterbund de Berne dans la question, soumise au peuple bernois, du rachat de la ligne de chemin de fer Berne-Lucerne :


C’est là une de ces circonstances où, comme le dit Proudhon, le vote populaire, quand on le consulte, répond inévitablement par une sottise. Si l’électeur vote non, il laisse une ligne de chemin de fer aux mains d’une compagnie privée, — chose mauvaise ; s’il vote oui, il livre cette ligne de chemin de fer à l’État bourgeois, — chose également mauvaise.

Le Comité de l’Arbeiterbund de la ville de Berne, par un appel signé Karl Moor et S. Lustenberger, a cru devoir toutefois recommander aux électeurs de voter oui ; et comme il se trouvait, en cette circonstance, en contradiction avec la décision de principe votée par les socialistes allemands au Congrès de Gotha l’an dernier, il a cherché à justifier sa manière d’agir en prétendant que ce qui est mauvais dans un État monarchique cesse de l’être dans un État républicain.

Le Congrès de Gotha s’est prononcé contre le rachat des chemins de fer allemands par l’État, en déclarant que « si l’Empire devenait propriétaire des voies ferrées, il s’en servirait pour favoriser les intérêts de l’État de classe et militaire (Klassen- und Militärstaat) ; que les revenus en seraient dépensés pour des buts improductifs ; que ce serait donner au gouvernement une arme de plus contre le peuple, et fournir une nouvelle occasion aux spéculateurs de s’enrichir aux dépens de la fortune publique ».

Est-ce que tous ces arguments ne sont pas applicables à la Suisse aussi bien qu’à l’Allemagne ? Les hommes de l’Arbeiterbund, à Berne, en sont-ils donc venus à ce point, de ne plus voir dans la Confédération suisse un Klassenstaat, un « État de classe » où la bourgeoisie gouverne en souveraine ? Est-ce que le militarisme n’existe donc pas chez nous ? Est-ce que le gouvernement n’est pas, ici comme partout, le représentant des intérêts bourgeois, et par conséquent l’ennemi des travailleurs ? Est-ce que les affaires de chemin de fer ne sont pas, en Suisse comme partout, un objet de scandaleuses spéculations financières ?

Des esprits naïfs disent : « Mais il vaut mieux que les chemins de fer soient possédés par l’État plutôt que par une compagnie d’actionnaires ; de cette manière ils appartiendront au peuple (!), et seront administrés dans son intérêt ». Nous répondons : État ou compagnie, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. L’État bourgeois n’est lui-même qu’une vaste compagnie privée, qui exploite au profit d’une minorité privilégiée le capital social et le travail collectif, en faisant jouer plus ou moins adroitement les ressorts