Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/550

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le nombre de ses membres (plus de quinze Vaudois ou Fribourgeois se sont inscrits), le Sozialdemokratischer Verein a conquis à peine quelques élément nouveaux, deux ou trois[1]. Pour les ouvriers allemands, le fruit de notre affaire se borne à une assez vague sympathie ; pour les Velches, c’est un véritable enthousiasme. L’effet produit en France est bon, très bon.


Si les rodomontades de Brousse font sourire, il faudrait se garder, toutefois, de tomber dans un autre extrême, et de ne voir, comme la Tagwacht, dans la manifestation de Berne qu’une démonstration vaine et stérile, qu’un enfantillage. On constatera, par le contenu de l’article suivant du Bulletin (22 avril), que le résultat produit dans les sphères gouvernementales pouvait être envisagé comme un réel succès pour l’Internationale, et que j’avais eu tort, dans la réunion privée de la Chaux-de-Fonds, de me montrer trop sceptique :


La manifestation de Berne, toute « puérile » qu’elle ait pu paraître à certaines personnes, a eu pour résultat de faire comprendre à nos adversaires bourgeois que le socialisme est une puissance avec laquelle il faut compter. Dans nos sphères officielles, on affectait d’ignorer l’Internationale ; il était de bon ton, parmi nos hommes politiques, de feindre de ne pas la prendre au sérieux. Et maintenant, quel changement ! Le Grand-Conseil du canton de Berne se réunit le 9 avril, et le président de ce corps[2] ouvre la session législative par un discours dans lequel il consacre aux socialistes un paragraphe spécial, que voici :

« Il est un point sur lequel nous désirons qu’on tienne ferme avant tout dans ce temps-ci : le gouvernement doit, ainsi qu’il l’a fait jusqu’ici à la presque unanimité[3], s’appuyer sur les sympathies et le bon sens de cette partie de la population qui travaille honnêtement, et non pas sur les idées déplorables et malsaines d’une classe qui heureusement n’est pas fortement représentée dans notre canton, et qui veut fonder son existence sur les ruines des institutions actuelles et vivre heureuse sans travailler. »

Voilà donc, chose inouïe chez nous précédemment, l’Internationale jugée digne de figurer dans le « discours du trône » du président du Grand-Conseil bernois ! Et notez que ce représentant d’un peuple républicain parle du socialisme absolument dans le même style que l’empereur Guillaume ou les ministres du tsar.

Mais voici qui est bien plus significatif encore.

Un membre du Conseil d’État bernois, M. Frossard, s’était prononcé contre les mesures prises par la police le 18 mars. Ce libéralisme relatif a si fort irrité contre lui la majorité du Grand-Conseil, que M. Frossard s’est vu forcé d’offrir sa démission, laquelle a été immédiatement acceptée. La formule officielle par laquelle le Grand-Conseil accepte la démission d’un membre du gouvernement contient ces mots : « avec remerciements pour les services rendus ». Un membre de la majorité, un certain Gerber, a proposé de retrancher ces mots, et d’accepter la démission de M. Frossard

  1. En octobre 1876, la Section de langue française de Berne et le Sozialdemokratischer Verein avaient payé leurs cotisations au Comité fédéral jurassien, la première, pour 14 membres, et le second pour 29 membres.
  2. M. Sahli, avocat.
  3. Les mots « presque unanimité » font allusion à l’attitude de M. Frossard, qui, ainsi qu’on va le voir, faisait minorité dans le Conseil d’État.