Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/556

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment entichés de cette union avec les Flamands, qu’ils sont prêts à tout sacrifier pour cela, principes, dignité, etc. Cela résulte jusqu’à l’évidence des phrases entortillées par lesquelles il donne à entendre aux Flamands qu’ils ont eu tort de perdre patience, et que le Congrès de Bruxelles, en juin, leur fera la concession que n’a pas faite le Congrès de Gand.

Il faudrait faire sentir tout cela bien clairement à Fluse ; lui faire comprendre que dans une alliance où on sacrifie ses principes, on ne gagne pas de la force, tout au contraire on en perd. Dès maintenant, les ouvriers wallons devraient dire résolument aux Flamands : « Organisez-vous comme vous l’entendrez, et laissez-nous nous organiser aussi à notre guise ». Cela n’empêcherait pas les deux organisations de vivre en paix et de s’entr’aider à l’occasion. Du reste, il me semble que la différence des langues empêchera toujours en Belgique une organisation unique d’exister sérieusement : si on voulait absolument créer cette organisation unique, l’un des deux éléments prendrait infailliblement le dessus et l’autre serait sacrifié : et celui qui serait sacrifié serait très probablement l’élément wallon.


Il y avait à Genève un groupe assez hétérogène de réfugiés français et de réfugiés russes, personnalités remuantes et susceptibles qui, tout en se disant de l’Internationale, boudaient plus ou moins la Fédération jurassienne. C’est ce groupe qui avait publié à la fin de 1876 l’almanach dont j’ai parlé p. 120. Lorsque Kropotkine vint en Suisse, il fit un voyage à Genève pour y voir quelques compatriotes : on chercha à le retenir dans cette ville, et à le prévenir contre les socialistes des Montagnes. Sa perspicacité lui fit bien vite démêler les causes vraies de certains mécontentements ; mais, avec son caractère bienveillant, il essaya d’abord de jouer le rôle de conciliateur. Son ami Lenz et lui avaient conçu le projet de publier un Dictionnaire socialiste, dans lequel serait expliquée la terminologie du socialisme, afin « de permettre à chacun de se rendre compte de la valeur historique et idéologique des mots qui composent cette terminologie » ; ce dictionnaire aurait contenu aussi des notices biographiques, un exposé des institutions sociales primitives des peuples, une étude des solutions de la question du travail, etc. Le groupe de propagande qui avait publié l’almanach patronna l’idée du dictionnaire, et lança, en mars 1877, un prospectus. Ce même groupe annonça, presque en même temps, l’intention de publier une revue mensuelle en langue française, qui devait paraître à l’imprimerie du Rabotnik. Ces projets éveillèrent chez quelques-uns, dans le Jura, des méfiances dont la nature est expliquée dans le passage suivant d’une lettre de Brousse à Kropotkine, du 6 avril :

« Il me reste à vous parler d’une chose dont nous causerons plus longuement, car j’espère aller sous peu à la Chaux-de-Fonds. Quelques amis de Genève, Kahn, Joukovsky, Ralli, etc., sont en train d’organiser une revue destinée à la Suisse et à la France ; une revue publique en Suisse et secrète en France ! C’est une machine dirigée, en Suisse, contre le Bulletin, en France contre nos amis. Ils m’avaient déjà parlé, d’abord, d’un almanach : j’y ai collaboré ; ensuite, d’un dictionnaire socialiste : je leur ai promis ma collaboration ; il s’agit maintenant d’une revue, demain il sera question d’un journal : je leur refuse catégoriquement et par lettre tout concours.

« Pensez-vous que le camarade russe [Lenz] que j’ai vu avec vous à la Chaux-de-Fonds, et ceux qui sont venus à Berne, donnent dans le piège sans y voir clair ? dans ce cas, vous nous rendriez un véritable service de les avertir. Seraient-ils capables de prêter leur concours à de semblables manœuvres, à une propagande théorique dans laquelle Gambon (Jacobin) écrit avec Reclus (anarchiste) et Lefrançais (De Paepiste) ? Serait-il impossible de les écarter de cette voie ? »

Brousse ne connaissait encore Kropotkine que fort peu : il s’adressa à moi pour savoir quels étaient exactement les sentiments de celui-ci. Voici un billet