Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/560

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j’avais reçu les premières nouvelles un peu détaillées du mouvement tenté par Cafiero, Malatesta et leurs amis, nouvelles contenues dans une lettre que m’écrivit Costa à la date du 14 avril. Mais Costa n’avait pas de renseignements directs et c’était dans les journaux qu’il avait puisé les détails qu’il m’envoyait. Voici sa lettre, que publia le Bulletin du 22 avril :

« Vous avez déjà lu dans les journaux que ces jours passés une bande armée de socialistes a fait son apparition dans une des provinces méridionales de l’Italie. Je voudrais pouvoir vous donner des renseignements précis sur ses faits et gestes ; mais il faut que je me contente de ce que rapportent les journaux bourgeois, en faisant la part de ce que leurs récits ont d’exagéré, de partial et de calomnieux.

« C’est à San Lupo (près de Cerreto, province de Bénévent), le 5 courant, que la bande s’est montrée pour la première fois ; mais, surprise prématurément et peut-être à l’improviste par les carabiniers, elle les a reçus par une décharge de coups de feu, qui en a blessé deux ; puis elle s’est retirée du côté des montagnes du Matèse.

« Je dis « prématurément et à l’improviste », car autrement je ne m’expliquerais pas la retraite de la bande vers les montagnes et la saisie de quelques armes opérées par les carabiniers sur le lieu même, — indice que d’autres compagnons devaient être attendus à cet endroit, probablement fixé pour le rendez-vous. Et, en effet, quatre des compagnons qui devaient s’y rendre ont été arrêtés peu après, dans les environs de Solopaca, tandis qu’ils étaient en route pour rejoindre la bande ; quatre autres furent arrêtés à Pontelandolfo.

« Ayant pris la route des montagnes, la bande pénétra ensuite [le 8] à Letino, province de Caserte, et y brûla les papiers qui composaient les archives communales. Voici comment un journal de Naples raconte cet événement :

« La bande ne comptait pas plus de trente hommes[1], et était commandée par Carlo Cafiero, Errico Malatesta et Cesare Ceccarelli.

« S’étant rendus à la maison commune, ils contraignirent le secrétaire à leur remettre tous les papiers qui s’y trouvaient, excepté ceux de la congrégation de charité, parce que ces derniers, dirent-ils, intéressaient le peuple. Ces papiers, ainsi que le portrait du roi, furent brûlés sur la place publique.

« L’un des trois chefs, Cafiero, parla ensuite au peuple pendant une heure environ, dans le sens de l’Internationale. Il parla contre les riches, contre l’impôt de la mouture, et autres choses du même genre. Cafiero n’a pas plus de trente ans[2] ; c’est un bel homme à la barbe châtaine, et il a produit une certaine impression.

« Il n’est pas le seul qui ait discouru ce jour-là. Un prêtre aussi, le signer Fortini, fut obligé de prêcher la fraternité évangélique[3].

« Dans l’auto-da-fé dont nous avons parlé, on devait brûler aussi les registres de l’étude d’un notaire ; mais on ne put mettre la main ni sur l’homme, ni sur ses papiers.

« Après tout cela, vint l’heure du dîner. Ceux qui composaient la bande se firent donner à manger, mais en payant tout. Puis la bande se mit en route pour la petite bourgade de Gallo. »

« Dans cette bourgade, les archives furent aussi brûlées, et l’argent qu’on trouva au bureau du receveur des impôts fut distribué au peuple,

« Il paraît que dans l’une de ces deux localités les bureaux du sel et du ta-

  1. Elle n’en comptait qu’une vingtaine au moment où elle quitta San Lupo, le 5 ; elle en comptait vingt-six quand elle fut faite prisonnière, le 11.
  2. Carlo Cafiero est né en septembre 1846.
  3. L’acte d’accusation, que le Bulletin publia en décembre 1877, montre que le desservant de l’église de Letino, Fortini, un bon vieillard de soixante ans, ne fut nullement obligé de prêcher : volontairement et publiquement il fit l’éloge de la bande armée et des maximes proclamées par elle, et il engagea le peuple à s’armer et à s’insurger contre les propriétaires et à s’emparer de leurs biens.