Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/575

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et dit à celui qui portait le drapeau (tout à fait comme le préfet à Berne) : « Au nom du comité d’organisation, et sur l’ordre du Comité central, je vous commande de faire disparaître ce drapeau rouge ». Immédiatement la colonne fit demi-tour à gauche et s’éloigna avec son drapeau. Nous avions parcouru la moitié de la ville, sans qu’aucun désordre se fût produit, preuve que les craintes puériles de voir la manifestation troublée, si le drapeau rouge y paraissait, n’avaient aucun fondement sérieux[1].


Le Bulletin ajouta :


Nous livrons ces détails, sans commentaires, aux réflexions de nos amis de l’extérieur. Ils leur feront connaître l’esprit qui anime, à cette heure, les meneurs du Schweizerischer Arbeiterbund.


Quant au motif pour lequel la manifestation avait été organisée, — une protestation contre une demande de referendum, — le Bulletin fit remarquer qu’en agissant ainsi, les politiciens zuricois se mettaient en contradiction avec leurs propres principes :


Qu’il nous soit permis de faire remarquer aux ouvriers de l’Arbeiterbund et du Grütli ce qu’il y a de peu logique dans l’attitude que les circonstances les ont engagés à prendre en cette affaire.

Ils n’avaient cessé, jusqu’ici, de prôner la législation directe, le vote des lois par le peuple (le referendum). C’était, selon eux, le meilleur ou plutôt l’unique moyen, dans une république, pour que le peuple parvînt à son émancipation. Car, disaient-ils, une fois que le peuple votera lui-même sur les lois, il est clair qu’il repoussera toujours celles qui sont contraires à ses intérêts, et qu’il adoptera au contraire celles qui assureront sa liberté et son bien-être.

Et que devient maintenant, dans la pratique, cette excellence théorique du referendum ? D’où vient que ceux qui l’ont tant vanté cessent d’avoir confiance en lui dès qu’il s’agit de l’appliquer ?

Voilà une loi faite dans l’intérêt des ouvriers, la loi sur les fabriques : elle a pour but, disent ses auteurs, de protéger les ouvriers, de diminuer leurs fatigues, de rendre leur existence plus humaine. S’il est une loi qui doive pouvoir compter sur les suffrages des travailleurs, certes c’est bien celle-là.

Et pourtant, que se passe-t-il ?

Les fabricants, voulant faire échouer la loi, n’imaginent pas de meilleur moyen que de demander qu’elle soit soumise au vote populaire.

Et les socialistes de l’Arbeiterbund, se rendant parfaitement compte du danger que courrait la loi sur les fabriques si le peuple était appelé à se prononcer à son sujet, se voient contraints de se mettre en contradiction avec leurs propres théories politiques, et de protester contre la demande de vote populaire faite par les fabricants !

Ainsi, fabricants et socialistes de l’Arbeiterbund comprennent très bien, les uns et les autres, que, dans les conditions économiques qui régissent la société actuelle, le vote populaire, loin d’être un levier d’émancipation, est

  1. L’assemblée, à laquelle assistèrent environ deux mille manifestants, eut lieu selon le programme fixé par les organisateurs : Salomon Vögelin et Greulich y prononcèrent chacun un discours, et les assistants votèrent une résolution engageant les ouvriers à refuser leur signature pour la demande de referendum.