Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/602

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Eh bien, s’il y avait un moyen d’attirer l’attention de ces hommes, de leur montrer ce qu’ils ne peuvent pas lire, de leur apprendre le socialisme par les faits, en le leur faisant voir, sentir, toucher ?… Quand on a raisonné de la sorte, on a été sur le chemin qui conduit, à côté de la propagande théorique, à la propagande par le fait.

La propagande par le fait est un puissant moyen d’éveiller la conscience populaire. Prenons un exemple. Qui connaissait en France, avant la Commune de Paris, le principe de l’autonomie communale ? Personne. Et cependant, Proudhon avait écrit de magnifiques ouvrages. Qui lisait ces livres ? une poignée de lettrés. Mais quand l’idée eut été posée au grand soleil, en pleine capitale, sur les marches de l’hôtel de ville, qu’elle eut pris corps et vie, elle alla secouer le paysan dans sa chaumière, l’ouvrier à son foyer, et paysans et ouvriers durent réfléchir devant ce point d’interrogation immense dressé sur la place publique. Maintenant l’idée a fait son chemin. En France, dans le monde entier, pour ou contre, chacun a pris parti. Pour ou contre, on est fixé.

C’est une émotion populaire semblable que nos amis ont voulu produire à l’église de Notre-Dame-de-Kazan, et ils ont réussi.

Mais il ne suffit pas d’un fait qui excite l’attention populaire. Cette attention excitée, il faut lui fournir un aliment. Le fait doit donc contenir au moins un enseignement.

Prenons comme exemple la manifestation du 18 mars à Berne.

La bourgeoisie suisse entretient dans l’esprit de l’ouvrier suisse ce préjugé qu’il jouit de toutes les libertés. Nous, nous lui répétons à satiété : « Pas de liberté publique sérieuse sans égalité économique ; et qu’est-ce qui maintient l’inégalité ? c’est l’État ! » Le peuple comprend peu ces abstractions ; mais donnez-lui un fait palpable, il le saisit. Montrez-lui l’article de constitution qui lui permet de sortir un drapeau rouge, et sortez ce drapeau : l’État, la police l’attaqueront ; défendez-le ; au meeting qui suivra, la foule accourra : quelques mots bien clairs, et le peuple a compris. Le 18 mars 1877 a été la démonstration pratique faite au peuple ouvrier suisse, en pleine place publique, qu’il n’a pas, comme il le croyait, la liberté.

Nos amis de Bénévent ont fait mieux. Ils ne se sont pas bornés à démontrer ainsi au peuple une seule chose. Ils ont pris deux petites communes, et là, en brûlant les archives, ils ont montré au peuple le respect qu’il faut avoir de la propriété. Ils ont rendu au peuple l’argent des impôts, les armes qu’on lui avait confisquées : en faisant cela, ils ont montré au peuple le mépris qu’il faut faire du gouvernement. Il n’est pas possible que ce peuple n’ait pas dit : « Nous serions bien plus heureux si ce que ces braves jeunes gens veulent s’accomplissait un jour ! » De là à les aider il n’y a qu’un pas facile à franchir.

On peut faire plus.

Que l’on s’empare une fois d’une commune, que l’on y réalise la propriété collective, que l’on y organise les corps de métier et la production, les groupes de quartier et la consommation ; que les instruments de travail soient dans les mains ouvrières, les ouvriers et leurs familles dans les logements salubres, les fainéants dans la rue ; attaqués, que l’on lutte, que l’on se défende, que l’on soit vaincu, peu importe ! L’idée sera jetée, non