Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/648

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le style trahit toujours l’homme). Ce rapport, au lieu de rester dans la question de principe, faisait des personnalités contre les internationaux italiens, et appliquait entre autres l’épithète d’intrigants aux insurgés du Bénévent et à leurs amis. D’énergiques protestations se firent aussitôt entendre, et — chose que le Bulletin tint à constater — pas une voix ne s’éleva pour prendre la défense de Zanardelli, qui put s’apercevoir qu’il avait décidément passé la mesure. Aussi, dans l’après-midi du même jour, remit-il à Costa une déclaration écrite, un formel désaveu, portant que rien, dans ce qu’il avait lu au Congrès, ne pouvait s’appliquer aux insurgés du Bénévent ni à leurs amis. Cette rétractation fut ensuite répétée publiquement et insérée au procès-verbal.

Le reste de la matinée fut consacrée à entendre des délégués qui presque tous (Costa, Montels, Brousse) parlèrent contre la participation à la politique parlementaire et en montrèrent les dangers. L’après-midi, un délégué espanol, Rodriguez [Soriano], retraça le tableau de l’histoire politique de l’Espagne depuis la révolution de 1868, et fit voir, avec une grande force de logique, comment les socialistes espagnols se sont trouvés amenés à adopter la ligne de conduite qu’ils suivent aujourd’hui. D’autres délégués parlèrent ensuite en faveur de la participation à la politique parlementaire (Hales, Anseele, Greulich, Brismée) ; ils déclarèrent qu’ils n’envisageaient pas ce mode d’action comme un moyen d’émanciper radicalement le prolétariat, mais qu’ils y voyaient une occasion d’agir sur le peuple, de l’intéresser à ses propres affaires, de l’organiser en une force capable de lutter contre ses adversaires. La journée allait finir sans que rien fût venu passionner le débat, qui commençait à se traîner dans des redites, lorsqu’un incident vint tout à coup remuer l’assemblée et mettre aux prises les deux partis d’une façon violente :


James Guillaume avait demandé la parole. Répondant à Greulich, il avait qualifié comme elle le mérite la tactique de certains meneurs de l’Arbeiterbund suisse ; il avait rappelé à quels résultats la politique avait conduit les ouvriers genevois qui ont été assez aveugles pour se confier à des chefs que l’ambition et l’intérêt personnel animaient seuls ; il avait indiqué enfin de quelle façon la Fédération jurassienne entend participer à la politique, l’attitude qu’elle observe à l’égard des partis bourgeois, et expliqué les motifs pour lesquels elle ne s’est pas enthousiasmée à propos du projet de loi sur les fabriques. Puis, passant à l’Allemagne, il avait tracé un parallèle entre l’Allemagne et la France ; montré la France faisant au dix-huitième siècle une révolution unitaire et jacobine, et conduite ensuite, par son développement historique, à l’idée de la destruction de l’État centralisé, à l’idée de l’autonomie communale, — idée qui s’est manifestée avec tant de force dans la révolution de 1871. L’Allemagne, au contraire, est encore engagée dans une phase que la France a laissée derrière elle ; l’Allemagne achève à peine de réaliser son unité politique, et elle marche vers une république centralisée, tandis que la France est devenue fédéraliste. Il rappelle à Liebknecht les paroles prononcées par celui-ci en 1872 devant le jury de Leipzig : « Je suis l’adversaire de toute espèce de république fédérative ». Cette période de politique centralisatrice que traverse l’Allemagne est nécessaire sans doute ; et ainsi s’explique le succès qu’obtient le parti des démocrates socialistes d’Allemagne, qui représente à la fois et les revendications économiques du prolétariat, et les aspirations populaires vers une république démocratique et unitaire. Parlant ensuite des dernières élections au Reichstag, Guillaume dit que le programme électoral des socialistes allemands a été, dans un grand nombre de cas, atténué de façon à ce qu’il pût être plus facilement accepté