Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/689

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outre les quelques journaux qui continuaient à paraître : l’Anarchia n’existait plus, mais il y avait à Naples le Masaniello, à Rimini le Nettuno, le Socialista à Cosenza, le Spartaco à Rome. La Plebe vivait toujours, servant d’organe au socialisme « scientifique », et débitant sur le compte du socialisme révolutionnaire des âneries prétentieuses ; quant au Povero, il poursuivait sa triste campagne d’injures et de calomnies : « Le Povero, de Palerme, — nous écrivait-on (Bulletin du 4 février), — continue à faire de l’ouvrage à bon marché avec nos compagnons qui se trouvent à présent en prison. Il faut convenir que si ses rédacteurs sont des lâches, ses inspirateurs sont plus lâches encore. Du reste, peu de gens lisent le Povero, et, quand l’argent de son principal inspirateur viendra à manquer, il aura vécu. » De Naples, un ami, qui était allé visiter les détenus formant la « bande du Matèse », nous écrivait : « Nos amis supportent courageusement leur captivité, malgré les plus grandes privations et les rigueurs exercées par « ordre supérieur ». Plusieurs d’entre eux sont malades depuis quelques mois déjà ; il en est qui ont contracté des maladies qui pourront abréger leur vie. » Une lettre parue dans le Bulletin du 4 mars nous fit connaître l’arrêt, impatiemment attendu, de la Cour de cassation de Naples : « Le 15 février, la Cour de cassation a jugé le recours du procureur du roi contre l’arrêt de la Chambre des mises en accusation de Naples. La Cour a rejeté le recours du procureur et admis le point de vue de la Chambre des mises en accusation. Mais, par une exception que nous avons peine à nous expliquer, cette même Chambre qui, à l’encontre du procureur, a vu dans les crimes et délits commis à Letino et à Gallo des actes politiques (et par conséquent des actes effacés par l’amnistie), n’a pas envisagé de la même façon l’escarmouche avec la gendarmerie à San Lupo : elle considère les blessures faites à deux carabiniers (dont l’un est mort des suites de sa blessure) comme des crimes de droit commun, ensorte que nos amis sont traduits, de ce chef, devant la cour d’assises de Bénévent pour y être jugés, mais sur ce seul point. »

Un double incident vint fournir prétexte, en Toscane, à de nouvelles persécutions contre les membres de l’Internationale : le 9 février, à Florence, une bombe fut lancée pendant une cérémonie publique ; et le 18, à Livourne, une perquisition chez des socialistes fit découvrir des bombes cachées. Une lettre reçue par le Bulletin donne au sujet de la bombe de Florence les détails suivants :

« À Florence, le jour où fut célébré le service funèbre de Victor-Emmanuel, un certain Cappellini lança sur le cortège funèbre une bombe Orsini, et huit à dix personnes furent blessées plus ou moins grièvement. Je ne sais si ce Cappellini appartient à un parti politique quelconque ; mais il est certain qu’il n’est pas de l’Internationale[1]. Néanmoins la Vedetta, journal de police, dans un article signé XX., profita de l’occasion pour crier contre une association ténébreuse, — l’Internationale, naturellement, — en donnant à entendre que c’était cette association qui avait fait lancer la bombe. Nos compagnons de Florence ont cru devoir protester contre les imputations de Monsieur XX. ; dans une pièce rendue publique, ils ont rappelé ce qu’est l’Internationale, quel est son but, quels sont ses principes ; et, venant à l’accusation spéciale lancée contre les socialistes par le journal de police, ils s’expriment ainsi :


« Nous sommes un parti qui se respecte, et nous n’avons pas besoin, pour notre propagande, de profiter d’occasions et de nous servir de moyens qui nécessairement ne font naître que des sentiments d’indignation et de pitié. Nous attendons des occasions d’un bien autre genre, et nous nous servirons de moyens qui ne sont pas ceux dont Monsieur XX. a pris prétexte pour nous outrager et pour engager l’autorité de police à nous arrêter, à nous

  1. Ce personnage fort suspect déclara qu’il avait été « contraint » de jeter la bombe, « qui avait été mise dans sa poche par des inconnus ». Au bout de trois mois, Cappellini fut l’objet d’une ordonnance de non-lieu. Mais quatre membres de l’Internationale avaient été arrêtés pour cette affaire : l’un d’eux se pendit dans sa prison, les trois autres furent condamnés (mai 1879) à vingt ans de réclusion.