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ple aux armes la veille de la prise de la Bastille. » Le 3 mai avait commencé le procès de Costa, qui fut condamné, le lendemain, à deux ans de prison[1]. Le 5, j’écrivais : « J’ai lu soigneusement le compte-rendu des débats, qui m’a rassuré. Peut-être ferai-je une visite à l’avocat pour m’informer plus en détail. » Le 25, j’allai en effet voir Engelhardt, l’avocat républicain qui avait défendu Costa : il me dit qu’il ne se souvenait pas d’avoir vu ma lettre au dossier. Il y avait dans cette déclaration une garantie de sécurité, — bien précaire ; mais il fallait s’en contenter. En conséquence, ma femme se mit en route avec l’enfant, et me rejoignit à Paris le mardi 11 juin, accompagnée de notre belle-sœur Gertrude von Schack, qui était allée s’aider au déménagement.




Mon long récit est terminé. Je n’écris pas une histoire de l’Internationale ; d’ailleurs je ne connais que très imparfaitement ce qui se passa dans la Suisse française pendant les premiers temps qui suivirent mon départ ; jusqu’à l’amnistie de 1880 et à la rentrée des proscrits de la Commune, une véritable muraille de Chine continua à séparer la France de la Suisse. Les funérailles de Blanqui (5 janvier 1881), auxquelles je pris part, furent la première manifestation publique du prolétariat parisien, se ressaisissant après dix années d’un régime de compression à outrance.

En ce qui concerne ma destinée personnelle, je pourrais raconter comment, dès mon arrivée à Paris, par un concours de circonstances qui m’aurait ramené aux travaux philologiques de ma vingtième année, je faillis devenir professeur de grec dans une grande école, sous les auspices du philosophe positiviste J. de Bagnaux et du grammairien Wierzeyski ; comment, ensuite, ma collaboration à une publication dont j’ai déjà parlé, et le spectacle de la grande transformation de l’école primaire française, tentée sous la direction de mon ami F. Buisson, me firent étudier successivement la Convention nationale et son œuvre d’émancipation intellectuelle, puis les éducateurs célèbres, Comenius, Frœbel, Pestalozzi, et m’initièrent aux problèmes moraux et sociaux que soulève la question de l’éducation populaire ; comment enfin je finis par consacrer le principal de mon effort à l’histoire de la Révolution française, et spécialement à celle du Comité d’instruction publique. À quoi bon ? mes amis savent ce qu’a été ma vie de labeur opiniâtre, de patientes recherches, et de pensée indépendante.

En 1881 ou 1882, je rencontrai un jour Malon sur la place de l’École de médecine : il vint à moi la main tendue, je lui tournai le dos. Quant à ceux qu’il avait lâchement insultés, Cafiero et Malatesta, le jury de la cour d’assises de Bénévent, devant laquelle ils comparurent avec leurs camarades en août 1878, les avait acquittés, et j’eus la joie de les revoir à Paris dans l’été de 1879. Dès l’année précédente, j’avais eu la visite d’Adhémar Schwitzguébel, venu à Paris pour un congrès international ; plus tard, à réitérées fois, je m’entretins avec Kropotkine lorsqu’il traversait Paris, allant de Thonon à Londres ou de Londres à Thonon : sa pensée subissait une évolution qui la portait vers des régions nouvelles.

Mais il ne convient pas que je me laisse entraîner par l’amitié à parler de choses qui n’appartiennent plus à mon sujet ; et je pose résolument ici un point final.



  1. Il fut amnistié en février 1879, à l’avènement de Jules Grévy à la présidence de la République.