Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/233

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la force contre les petits peuples récalcitrants ; quant aux gros, c'était tout différent !...

La forme, toujours la forme ! Tel est votre châtiment à vous démocrates qui vivez séparés du peuple et ne le voyez que du haut de vos phrases sonores, qui ne vous doutez pas que le peuple a faim, et que, s'il veut la paix, il veut du pain avant tout. Est-ce que « l'air pur des Alpes » dont M. Victor Hugo régale son auditoire suffira à rendre au peuple des forces après un rude travail ? Est-ce avec les phrases aussi creuses qu'harmonieuses du grand poète que l'on changera l'état économique actuel, unique cause de la misère et cause unique de la guerre ?


Après son retour de Bâle, Bakounine, absorbé par ses affaires personnelles et ses préparatifs de départ, s'occupa fort peu de l'Internationale et de l'Alliance pendant les quelques semaines qu'il passa encore à Genève (13 septembre-30 octobre). Voici ce qu'il raconte lui-même à ce sujet, dans une partie inédite de son Rapport sur l'Alliance (p. 79) :


Je n'allai presque plus ou fort rarement aux réunions de l'Internationale, et je n'y parlai qu'une seule fois, la veille de mon départ[1]. Quant à la Section de l'Alliance, je n'y pris part, après mon retour de Bâle à Genève, qu'à une seule délibération[2] : celle qui eut pour objet de demander au Comité fédéral romand l'entrée dans la Fédération romande. Cette demande fut présentée[3] par Fritz Heng, qui était en même temps secrétaire de la Section de l'Alliance et membre du Comité fédéral, aussi bien que Duval qui, alors encore fidèle à l'Alliance, appuya la proposition. Le Comité fédéral ne nous refusa pas positivement, mais il suspendit sa décision jusqu'à des jours plus favorables, c'est-à-dire il la renvoya aux calendes grecques. Cette décision fut communiquée en assemblée de la Section de l'Alliance[4] par Duval et par Heng, qui nous donnèrent des détails assez intéressants sur la manière dont elle avait été prise ...


Le tableau tracé (pages 80-81 du manuscrit) par Bakounine de la réunion du Comité fédéral romand du 22 septembre mérite d'être reproduit : il nous montre, pris sur le vif, les agissements de la coterie, et l'on va voir entre quelles mains se trouvait placée la direction officielle de l'internationale à Genève :


Les sept membres du Comité fédéral étaient alors : Guétat[5], président; Henri Perret, secrétaire général ; son frèr Napoléon, secrétaire pour l'intérieur ; Martin, Chénaz, Duval et Heng. Lorsque la demande

  1. Dans l'assemblée générale du 27 octobre (Égalité du 30 octobre) : le mot « la veille » ne doit pas être pris à la lettre.
  2. D'après les procès-verbaux de la Section de l'Alliance, Bakounine assista, après le Congrès de Bâle, à la réunion du comité du 17 septembre, à la séance de la Section du 27 septembre, et à la réunion du comité du 1er octobre.
  3. À la séance du Comité fédéral romand du 22 septembre.
  4. Le 27 septembre.
  5. Guétat, d'abord vice-président, et qui avait ensuite remplacé Brosset à la présidence du Comité fédéral, était un des membres fondateurs de la Section de l'Alliance ; mais il avait subi l'influence des politiciens, et allait bientôt passer entièrement dans leur camp. Voici le portrait que fait de lui Bakounine dans un autre passage : « Guétat nous avait abandonnés. Depuis qu'il était devenu membre et vice-président du Comité fédéral, les fumées des honneurs avaient tourné sa pauvre tête. Plein de son importance, il était devenu d'un ridicule achevé. Il avait fini par faire rentrer en lui-même son discours habituel, stéréotypé, sur la Révolution, et dans les assemblées générales, aussi bien qu'au sein du Comité fédéral, il ne votait plus qu'avec la réaction. » Le procès-verbal de la réunion du comité de la Section de l'Alliance du 17 septembre dit, à son sujet : « Bakounine donne des explications sur la conduite du citoyen Guétat vis-à-vis de notre Section ; comme il ne s'est pas conformé aux promesses faites par sa signature, » — les membes de la Section de l'Alliance signaient, lors de leur admission, le programme et le règlement de la Section, — « il doit naturellement ne plus faire partie de notre Section. Duval demande à ce que l'on attende la séance du Comité fédéral de mercredi (22) pour voir quelle sera sa conduite ; d'après ça, nous agirons en conséquence. Adopté. » (Nettlau, biographie de Bakounine, p. 316.)