Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/254

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

espéré grouper autour de leur drapeau, s'étaient laissé effrayer par la presse conservatrice agitant le spectre rouge et exploitant la terreur qu'inspiraient aux têtes faibles les discussions du Congrès de Bâle sur la propriété collective et le droit d'héritage. Ainsi, il n'avait servi de rien d'écarter de l'ordre du jour des assemblées de l'Internationale genevoise ces terribles questions, si inopportunes, et de se cantonner strictement sur le terrain des questions « pratiques », groupement corporatif, coopération, crédit ; il n'avait servi de rien qu'à Bâle Grosselin et Henri Perret se fussent abstenus, ou prudemment absentés : on n'en avait pas moins exploité contre les intérêts politiques des ambitieux meneurs des ouvriers genevois ces « utopies », épouvantail des gros et des petits bourgeois, que des « esprits chimériques », des « fous » tels que Bakounine et ses amis, avaient lancées comme des brandons de discorde au sein des Sections de Genève. On prit donc, dans les conciliabules des comités, la résolution d'en finir avec les collectivistes, auteurs réels, disait-on, de l'échec électoral du 14 novembre, et de manœuvrer de façon à soustraire une fois pour toutes les ouvriers genevois et la Fédération romande à leur néfaste influence. Mais il ne fallait pas démasquer ses batteries avant l'heure où le plan de bataille aurait été savamment combiné dans tous ses détails, et, pour le moment, on trouva politique de faire bonne mine à mauvais jeu.

Deux semaines après l'élection, l’Égalité (n° 45, 27 novembre) rompit le silence qu'elle avait observé jusque-là. Le Conseil de rédaction avait jugé qu'il était nécessaire d'exposer ce qu'il estimait être le point de vue auquel devait se placer l'Internationale en matière de politique électorale ; le journal publia donc, sous ce titre : Les partis politiques à Genève et l'Internationale, un article écrit par Perron, dont je reproduis les principaux passages :

« À propos des dernières élections du pouvoir exécutif à Genève, on a fait intervenir à tort et à travers le nom de notre Association.

« Un des partis politiques en présence, le parti indépendant[1], accuse le parti radical d'avoir fait alliance avec l'Internationale.

« Il est de notre devoir de repousser cette affirmation, non point qu'elle puisse tromper beaucoup de monde à Genève, mais pour que notre silence ne soit pas interprété comme un aveu par ceux qui ne peuvent juger de ce qui se passe ici que par les récits des journaux.

« À la vérité, le parti radical a choisi comme l'un de ses candidats au Conseil d'État un ouvrier membre de l'Internationale[2] ; il est vrai encore que la généralité des ouvriers genevois ont voté la liste radicale, mais cela ne saurait en aucune manière engager notre Association.

« L'Internationale, ses Statuts généraux sont des plus précis à cet égard, ne peut et ne doit poursuivre que l’émancipation économique des travailleurs, grand but auquel doit être subordonné tout mouvement politique (Statuts généraux, § 3).

« Or, le Conseil d'État n'ayant ni la mission ni le pouvoir d'émanciper économiquement les travailleurs, l'Internationale ne pouvait avoir aucune raison de s'occuper de cette élection.

« Si, individuellement, les ouvriers ont voté la liste radicale, c'est que, vraisemblablement, ils ont gardé la mémoire de la conduite haineuse et violente du parti indépendant et de son Conseil d'État durant les grèves de 1868 et 1869, c'est qu'ils désiraient pour ces motifs éloigner des affaires publiques des hommes qui avaient abusé de leur pouvoir, en intervenant partialement en faveur des patrons dans un débat où ils n'avaient que faire.

« Les ouvriers genevois ont agi en ceci comme les ouvriers parisiens nommant les irréconciliables : non dans l'attente de réformes sociales

  1. C'est le nom que se donne à Genève le parti conservateur.
  2. Grosselin, monteur de boîtes (Note de l’Égalité.)