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Le président lui a encore promis pour dimanche prochain les documents nécessaires pour terminer l'historique de la Section. » Les sommations de Robin aboutirent à faire remettre à la rédaction, le lundi 20 décembre, — ainsi que l'annonça l’Égalité du 25, — les documents réclamés ; mais elles avaient exaspéré si fort l'irascible Duval qu'en haine de Robin et de son ami Perron, il passa sans retour dans le camp de la coterie.

Quant à Wæhry, membre obscur jusque-là du Conseil de rédaction, et membre aussi de la commission de la bibliothèque, c'est en cette seconde qualité que Robin l'attaqua, sans se douter, hélas ! des suites fatales qu'allait avoir son imprudence. La bibliothèque de l'Internationale genevoise avait dû être fermée momentanément pour permettre le classement de livres légués par Serno-Soloviévitch, et aussi pour qu'on pût faire certaines réparations ; un avis inséré dans l’Égalité du 16 octobre l'avait annoncé aux membres des Sections de Genève. Au bout de deux mois l'opération n'était pas achevée, et quelques habitués se plaignirent. Il n'y aurait eu, semble-t-il, qu'à s'adresser amicalement à la commission de la bibliothèque, pour la prier de se presser un peu, sans donner à la ilainte une publicité intempestive. Mais Robin n'était pas un pacifique, il semblait aller au-devant des conflits et s'y complaire ; aussi interpella-t-il la commission par la voie du journal, en insérant dans l’Égalité du 18 décembre la note suivante :

« À la Commission de la bibliothèque. Plusieurs membres de l'Internationale s'adressent à nous pour savoir quand la bibliothèque sera ouverte. Ils remarquent qu'elle est fermée depuis plus de deux mois, juste au moment où la longueur des soirées rendrait les emprunts plus nombreux ; ils ajoutent enfin que cette interruption date de l'époque où la bibliothèque s'est enrichie de la collection de trois cents volumes laissée par Serno. Nous transmettons leur réclamation à la commission de la bibliothèque. »

Wæhry s'émut, et écrivit à Robin pour justifier la commission ; sur quoi l’Égalité publia (25 décembre), dans les « Faits divers », une seconde note, sèche et hostile, ainsi conçue :

« Un membre de la commission de la bibliothèque nous écrit une lettre où il nous annonce « que le don Serno ayant augmenté considérablement le nombre des livres, a nécessité un nouveau classement et une réparation indispensable ; que cette réparation n'a pas encore pu se faire ». Le premier avis a paru il y a deux mois dans l’Égalité, nos lecteurs le connaissaient déjà ; la seconde nouvelle, les assidus de la bibliothèque, comme notre correspondant, continueront à la trouver regrettable. »

Ce « faits-divers » allait mettre le feu aux poudres, ainsi qu'on le verra au chapitre suivant.


Le dimanche 26 décembre eut lieu, au cimetière de Plainpalais (Genève), l'inauguration du monument élevé sur la tombe de Serno, un bloc de granit brut portant sur une de ses faces un médaillon de marbre blanc avec l'inscription : À la mémoire d'Alexandre Serno-Soloviévitch (1839-1869), les internationaux de Genève. Perron, dans un discours simple et touchant, raconta la vie de celui dont il avait été l'ami dévoué, et termina par cette allusion transparente à l'attitude hostile prise par certains Genevois à l'égard de Serno et d'un autre révolutionnaire russe, absent : « Promettons-nous, sur la tombe de notre ami, de concourir de toutes nos forces, à ce résultat si ardemment désiré par lui [l'achèvement de l'organisation de l'Internationale] ; promettons-nous également d'accueillir les hommes de cœur et d'énergie que les tyrans forcent à se réfugier parmi nous comme nous avons accueilli Serno, c'est-à-dire en frère et non pas en étranger. Sachons surtout reconnaître de leur vivant les grandes qualités qui les distinguent et à l'aide desquelles le triomphe de la révolution sociale peut seul être assuré. » Outine prononça l'éloge de Serno, au nom du « jeune parti russe », et sur un ton déclamatoire adressa des menaces au gouvernement du tsar : « C'est pour avoir servi la cause de l'affranchissement