Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/286

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Ainsi Bakounine, bien loin d'avoir été l'inspirateur de Robin, l'avait désapprouvé ; et, pendant ce temps Marx, abusé par ses soupçons et sa haine, se préparait à dénoncer à ses amis d'Allemagne le grand complot du Russe Bakounine contre l'Internationale !


En recevant le numéro 2 de l’Égalité (8 janvier 1870), nous y lûmes avec stupeur un avis signé du président et du secrétaire du Comité fédéral romand, ainsi conçu :

« Par suite de la démission de sept membres du Conseil de rédaction, le Comité fédéral, de concert avec le Comité cantonal de Genève, a pris les mesures nécessaires pour aider dans leur tâche les membres restants de la rédaction, afin que notre journal ne subisse aucune interruption jusqu'au Congrès du mois d'avril. Le Comité fera connaître aux Sections en temps et lieu les circonstances qui nous ont amenés à prendre cette résolution. »

Que s'était-il donc passé ? Presque rien : un incident ridicule, qui, par la maladresse insigne et la nervosité de Robin, se trouva brusquement transformé en un désastre aussi inattendu qu'irréparable. Voici comment Robin lui-même a raconté la chose dans un « Mémoire justificatif » rédigé en 1872 :

« La guerre éclata à propos d'une note sur la bibliothèque tenue fermée depuis trois mois et demi sous prétexte de réparations qu'on n'y faisait pas[1]. Un pauvre homme aigri par une maladie cruelle[2], qui faisait à la fois partie de la commission de la bibliothèque et du Conseil de rédaction, vint à ce dernier nous insulter de façon que nous dûmes le mettre en demeure de donner sa démission sous menace de donner la nôtre en masse. Il refusa, nous nous retirâmes ; le Comité fédéral se réjouit de la victoire remportée par son habileté en intrigues. »

En effet, l'on vit cette chose incroyable : la majorité du Conseil de rédaction, sept membres sur neuf, au lieu de continuer à « maintenir la marche imprimée au journal », comme elle venait d'en prendre l'engagement par la déclaration publiée dans le numéro du 1er janvier, annonça qu'elle se retirait et qu'elle cédait la place à Wæhry, parce que celui-ci prétendait continuer à rester membre du Conseil, — où la présence de ce « pauvre homme » ne pouvait faire aucun mal. Ils étaient sept contre un, (Paillard ne comptait pas), et les sept battirent en retraite, laissant le grotesque fantoche maître du champ de bataille ! Voici la lettre qu'ils adressèrent, non pas au Comité fédéral, non pas aux Sections, mais — comble de ridicule — à Wæhry lui-même, pour abdiquer entre ses mains :


« À Monsieur Wæhry, à Genève.

« Monsieur, En présence de votre refus de cesser d'assister aux séances de la commission de rédaction, nous vous donnons notre démission de membres de cette commission.

« Genève, le 3 janvier 1870.

« Charles Perron, Paul Robin, Guilmeaux, Jules Dutoit, A. Lindegger, J.-Ph Becker, Pinier. »


Wæhry, enchanté, accepta la démission de ses collègues : il allait enfin pouvoir faire imprimer dans le journal sa prose que jusque-là le Conseil de rédaction avait toujours refusé d'insérer ! De son côté, le Comité fédéral romand, auquel l'article 30 des statuts fédéraux attribuait la « surveillance morale » du journal, « prit les mesures nécessaires », c'est-à-dire adjoignit à Wæhry et à F. Paillard, (les deux membres restants du Conseil) Outine, qui se trouvait par cette chance inespérée au comble de

  1. Voir ci-dessus p. 252.
  2. Il s'agit de Pierre Wæhry.