Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/385

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ouvrière à laquelle prirent part aussi bien nos amis que les chefs du parti coulleryste, et que présida M. Ulysse Dubois, décida d'appuyer moralement les grévistes genevois. À Neuchâtel, sous la présidence de Treyvaud, une réunion de quatre cents ouvriers vota, le 29 juin, l'organisation immédiate de tournées dans tous les ateliers pour recueillir des fonds : « c'était, dit la Solidarité, la première fois que l'Internationale s'affirmait en public à Neuchâtel depuis sa reconstitution dans cette ville, et le succès qu'elle a remporté dépasse nos espérances : le soir même, plusieurs corps de métier ont annoncé qu'ils allaient se constituer en Sections de l'Internationale ». Le mouvement d'opinion s'étendit jusqu'à Zurich où, à la suite d'un meeting en faveur de la grève de Genève, il y eut de nombreuses adhésions à l'Internationale. La sympathie des socialistes de la Suisse allemande et de l'Allemagne avait, aux yeux de la rédaction de l’Égalité, un prix tout spécial ; dans son numéro du 29 juin, elle dit : « Nous remercions surtout nos frères allemands et leurs deux organes, la Tagwacht et le Vorbote ; ce dernier consacre tout son dernier numéro à un remarquable exposé historique de la situation, et nous nous empresserons (sic) de faire part à notre public de ce concours de nos confrères allemands, qui fait que les secours et les sympathies de l'Allemagne sont acquis à notre grève ».

Trois conciliateurs officieux, MM. Amberny, avocat, G. Revilliod, rentier, et le Dr Duchosal, député radical, s'interposèrent à Genève entre les patrons et les ouvriers ; mais leur intervention échoua par l'obstination des patrons. Alors, une « assemblée populaire nationale » fut convoquée pour le mercredi 29 juin au Stand de la Coulouvrenière ; Grosselin y proposa de demander au gouvernement genevois la création de chantiers nationaux pour fournir du travail aux grévistes ; mais un homme politique, le radical Cambessédès, réussit à faire voter qu'il serait tenté une dernière démarche auprès des patrons, auxquels on proposerait de soumettre le différend à un arbitrage. Les patrons, par lettre du 2 juillet, refusèrent l'arbitrage, et la grève continua. Le Conseil d'État de Genève, à qui les ouvriers s'adressèrent alors pour avoir du travail, répondit par une fin de non-recevoir. La situation paraissait sans issue. Loin de contribuer au progrès de l'Internationale à Genève, la grève, mal conduite, avait désorganisé les rangs des travailleurs. Les hommes du Temple-Unique répétaient qu'il fallait se concilier les sympathies de la population, et que pour cela on devait ne pas heurter les préjugés nationaux, ne pas effrayer les esprits craintifs en parlant de socialisme. Sur trois mille ouvriers en bâtiment mis hors des chantiers par les patrons, les deux tiers au moins avaient quitté Genève au bout de peu de jours pour aller chercher du travail ailleurs : la puissance de l'Internationale était donc bien diminuée. En même temps, le journal l’Égalité se trouva hors d'état de continuer sa publication dans les conditions ordinaires ; il n'avait jamais eu beaucoup de lecteurs à Genève, le gros de ses abonnés lui avait été fourni autrefois par les membres de ces Sections de Montagnes dont il avait, par sa faute, perdu la clientèle ; en outre, il y avait eu dans l'administration du journal du gaspillage et du désordre[1]. La conséquence fut que, après son n° 24

  1. La mauvaise gestion financière de l’Égalité fut vivement critiquée l'année suivante dans un Congrès des délégués des Sections romandes (fraction du Temple-Unique) tenu à Genève en mai 1871. Nettlau a publié (p. 406) des extraits d'un rapport sur ce Congrès présenté par Decrette, délégué de la Section des faiseurs de pièces à musique de Genève, aux membres de sa Section. On y lit entre autres : « L'incurie et les dilapidations qui ont régné dans l'ancienne administration de l’Égalité ont paru mériter l'indulgence du Congrès. Cependant des accusations sérieuses ont été formulées par la commission de vérification des comptes contre le citoyen A*** [une créature d'Outine]. Les livres sont dans un tel désordre qu'il a été impossible de constater une situation même approximative. En outre on a fait figurer sur le livre d'expédition et porté comme dépense de timbres une quantité de journaux cachée dans divers coins de la bibliothèque ; ceci est un fait grave qui constitue un véritable détournement de fonds au profit du sieur A***. Ce gaspillage est resté impuni, et je suis obligé de protester énergiquement contre cette indulgence inqualifiable. »