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quinze autres membres de l’Internationale parisienne (parmi lesquels Landrin, Camélinat, Tolain), qui comparurent vers la fin de juillet devant un juge d’instruction. Le procès des internationaux de Lyon avait été fixé au 8 août, et Albert Richard, rappelé par ses amis lyonnais, s’était décidé à rentrer pour se présenter à l’audience. Pendant son séjour à Neuchâtel, où il avait vécu isolé, dissimulé sous un nom d’emprunt, dans une chambre de l’hôtel du Faucon, j’avais eu l’occasion de causer avec lui à plusieurs reprises, et mon impression défavorable s’était encore accrue : j’avais pu constater en lui, jointes à une profonde ignorance, une présomption enfantine, et une préoccupation exclusive de sa personne et du rôle « historique » qu’il se croyait appelé à jouer. Je n’étais pas le seul qu’il eût honoré de ses stupéfiantes confidences ; à Perron il avait dit un jour, en parlant de Bakounine : « La révolution se fera par l’union de sa force avec la mienne ; son vaste cerveau mongol est capable de soulever l’Europe orientale dans le même temps qu’à ma voix l’Europe occidentale se lèvera pour marcher au combat ». Après la déclaration de guerre, il envoya à un journal lyonnais un article équivoque, à propos duquel Robin écrivait le 29 juillet à Joukovsky : « Richard a publié dans le Progrès de Lyon un article où il avoue que en présence de cette grande guerre... il sent encore vibrer dans son cœur la fibre patriotique. Je vous enverrai l’article si je le retrouve. Quel farceur ![1] » Richard s’en fut donc à Lyon, où, à l’audience du 8 août, le tribunal renvoya la cause à trois semaines ; le 29 août l’affaire ne fut pas appelée, et après le 4 septembre il n’en fut naturellement plus question.

Un autre Lyonnais vint en Suisse au commencement d’août, à Genève d’abord, puis à Neuchâtel : c’était Gaspard Blanc[2]. Très jeune encore (vingt-six ans), tout petit, avec de longs cheveux retombant sur le front, qui lui donnaient l’air d’un artiste, celui-là possédait l’énergie que n’avait pas Richard ; il n’était pas dépourvu d’intelligence, et écrivait passablement[3]. Il fut bientôt rejoint par sa femme, personne insignifiante. Je les accueillis tous deux à bras ouverts ; ils mangeaient à ma table ; et mon père, toujours disposé à sympathiser avec les réfugiés politiques, mit à leur disposition une chambre dans une maisonnette située dans son jardin : c’est là qu’ils logèrent pendant tout leur séjour à Neuchâtel, qui dura environ un mois.

Le jour où les internationaux de Lyon comparaissaient devant le tribunal, ceux de Marseille (Alerini, Combe, etc.) faisaient, de concert avec quelques républicains, une tentative insurrectionnelle et envahissaient l’hôtel de ville ; mais ce mouvement fut immédiatement réprimé, et le 28 août le conseil de guerre condamnait quinze des manifestants (Gaston Crémieux, Sorbier, Combe, Debray, etc.) à des peines variant de un mois à un an de prison.

Le même jour encore s’achevait à Blois, devant la Haute-Cour, le procès, commencé le 18 juillet, intenté à soixante-douze accusés, blanquistes et autres, à la suite du prétendu complot d’avril : Mégy fut condamné à vingt ans de travaux forcés, plusieurs autres à la détention pour une durée de trois jusqu’à quinze ans[4].

  1. Nettlau, p. 414.
  2. « Le procès des internationaux de Lyon a commencé le 8 août : il y a trente-six inculpés, qui sont tous présents, sauf Blanc, qui, ayant été révoqué de ses fonctions d’employé des ponts-et-chaussées, a quitté la France avec l’approbation de ses amis pour venir chercher en Suisse des moyens d’existence. » (Solidarité du 13 août.)
  3. Il m’avait envoyé de Lyon un article intitulé Les faux pas du socialisme, qui parut avec ses initiales dans la Solidarité du 2 juillet. Si ma mémoire n’est pas en défaut, l’article La Révolution sociale (numéro du 16 juillet), signé X., est aussi de lui.
  4. « Les débats ont prouvé que le complot n’était que l’œuvre d’agents provocateurs soudoyés par la police. Quant à l’Internationale, qu’on avait voulu y mêler au premier moment, elle n’a eu absolument rien de commun avec cette affaire. » (Solidarité du 13 août.)