Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/438

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Aux membres de l’Association internationale des travailleurs.
Compagnons,

C’est un devoir pour nous que d’opposer une protestation énerqique à certains faits qui viennent de se passer dans la Suisse romande, relativement à un Manifeste publié dans notre organe la Solidarité.

Nous avions cru que la scission qui s’était opérée au Congrès de la Chaux-de-Fonds avait laissé chez tous d’assez tristes souvenirs, pour que chacun s’efforçât de ne pas envenimer une situation déjà assez anormale. Nous pensions aussi que notre conduite à l’égard des Sections qui crurent devoir se détacher de nous aurait dû nous valoir, de la part des membres de ces Sections, des sentiments plus fraternels que ceux qu’ils viennent de faire éclater si publiquement à notre égard.

La rédaction de la Solidarité a publié, comme elle en avait le droit, un Manifeste affirmant la solidarité morale et matérielle qui doit exister entre tous les républicains, et faisant appel au dévouement de tous les socialistes pour aider à sauver la France républicaine du despotisme de la Prusse monarchique ; et cela non pas, comme cherche à le faire croire l’Égalité de Genève, en vue de sauvegarder l’intégrité territoriale de la France, et de prendre part à une lutte nationale, mais bien parce que la jeune République représente la révolution européenne qui affranchira les travailleurs.

Cet affranchissement ne pouvant être opéré que par les travailleurs eux-mêmes, comme le disent très bien nos statuts généraux, quoi de plus logique que d’engager les ouvriers de tous les pays à prêter leur concours à la défense du principe de liberté qui vient d’être proclamé à Paris ? N’est-ce pas déjà une conséquence naturelle du caractère international de notre Association ? Les ouvriers de tous les pays, les Belges, les Allemands, les Anglais, les Italiens, les Espagnols, ne se sont-ils pas empressés chacun de leur côté d’acclamer la République française ?

Que la bourgeoisie voie de mauvais œil des manifestations semblables ; que les autorités constituées se soient empressées de les réprimer, c’est tout naturel. Elles sont dans leur rôle. Nous ne voulons pas, dans les circonstances exceptionnelles où nous nous trouvons, discuter la question délicate de savoir jusqu’à quel point la neutralité suisse pouvait se trouver compromise par la publication du Manifeste de la Solidarité. Mais que des hommes qui, jusqu’à présent, ont aussi fait partie de l’Internationale, et qui prétendent avoir plus que nous le droit de parler en son nom ; que ces hommes aient saisi ce prétexte pour nous jeter l’injure et la calomnie, pour dénaturer perfidement nos intentions, pour nous dénoncer, — oui, pour nous dénoncer, dans leurs journaux, aux autorités comme des hommes dangereux : voilà ce qui nous remplit d’indignation.

Lors même que le Manifeste se serait trouvé sur quelque point en contradiction avec leurs propres opinions, cela pouvait-il motiver, de la part d’hommes qui eussent été véritablement internationaux, un pareil débordement de haine et de basse injure ? Est-ce bien à eux à nous montrer du doigt à la police ? Était-ce une conduite digne de socialistes que décrire, à la Chaux-de-Fonds dans la Montagne, à Genève dans l’Égalité, à Berne dans le Bund, des articles remplis de