Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/603

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bornée, comme c’était son droit, à protester contre les résolutions de la Conférence de Londres et à en appeler au prochain Congrès. Voilà tout[1].


Le système de calomnies personnelles, employé par nos adversaires en Suisse, en France, en Espagne aussi (comme on le verra tout à l’heure), était également pratiqué en Italie. Bakounine y était en butte à des attaques personnelles perfides. Il ne les avait pas relevées, voulant absolument éviter de mêler sa querelle avec Marx et ses acolytes allemands et russes au grand débat de principes qui agitait toute l’Internationale. Voici ce qu’il écrivait en mars 1872 à un socialiste de la Romagne, Celso Cerretti[2] :


Les attaques de la secte hébraïco-germanique ne sont pas une nouveauté pour moi. Depuis 1848… jusqu’à présent j’avais dédaigné de leur répondre. Il paraît qu’ils veulent me forcer à rompre ce silence. Je le ferai, quoique bien à contre-cœur ; car il me répugne d’introduire des questions personnelles dans notre grande cause, et rien ne me dégoûte tant que d’occuper le public de ma propre personne[3]. J’ai fait tout mon possible pour que mon nom n’intervienne pas dans la polémique des journaux italiens au sujet de l’Internationale. J’ai arrêté pour cela la publication de mes écrits contre les mazziniens, et, lorsque M. Engels m’a indirectement attaqué dans sa réponse à Mazzini, j’ai encore gardé le silence… Maintenant, ils m’attaquent par de sourdes calomnies. En même temps que votre lettre, j’en recevais une autre de Milan, une troisième de Naples, qui me disaient à peu près la même chose. Alors je conçus la pensée de publier dans les journaux italiens une lettre de défi adressée aux intrigants du Conseil général. Je le ferai s’ils mettent ma patience à bout. Mais avant de le faire, puisqu’il s’agit de personnalités et non de principes, je veux encore essayer un dernier moyen de conciliation. Je veux d’abord adresser au Conseil général une lettre privée, dont je vous enverrai la copie. Et s’ils ne me donnent pas une réponse satisfaisante, alors je les forcerai à s’expliquer en public.


Bakounine ne donna suite à aucun de ces deux projets : ni la lettre privée au Conseil général, ni la lettre de défi qui devait être publiée dans les journaux italiens, ne furent écrites. Mais c’est encore avec la pensée de mettre le Conseil général en demeure de préciser et de prouver les accusations dont ses correspondants et ses agents se faisaient les propagateurs, qu’il adressa sa lettre du 10 mai 1872 à Anselmo Lorenzo, dont je parlerai plus loin.

  1. Dans la brochure L’Alliance, etc. (p. 40), on a écrit : « Le Fascio operaio avait commis une grosse bévue en découvrant aux profanes la mystérieuse existence du centre secret de l’Alliance. Le Comité jurassien se vit forcé de nier publiquement son existence secrète. » Marx s’est donc figuré que notre Comité fédéral, Andrié, Guerber, Schwitzguébel et leurs deux collègues, dont j’ai oublié les noms, tous les cinq désignés par la Section de Sonvillier, formait le rentre secret d’une vaste organisation occulte de laquelle les socialistes italiens du Fascio operaio recevaient le mot d’ordre ! Risum teneatis !
  2. Lettre publiée dans la Société nouvelle de Bruxelles, février 1896. On voit, par le calendrier-journal, que cette longue lettre fut rédigée du 14 au 17 mars 1872.
  3. Le croirait-on ? de ce dégoût qu’inspiraient à Bakounine les polémiques personnelles, Marx et ses amis lui ont fait un grief, comme s’il y eût eu, dans ses motifs pour s’abstenir de répondre aux attaques dont il était l’objet, autre chose qu’une légitime répugnance à occuper le public de questions de personnes. Engels parle à Sorge, le 14 juin 1873, du « peu d’envie qu’a toujours montré Bakounine d’accepter un débat personnel (Bakunins alle Unlust, in persönlicher Debatte aufzutrelen) », laissant perfidement entendre par là que Bakounine devait avoir des raisons de désirer se soustraire à l’obligation de donner certaines explications.