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passa quelques semaines ; durant ce temps, je le vis chaque jour : c’était un bon jeune homme, ingénu, et amoureux de beau langage. Pendant son séjour, il reçut plusieurs lettres de Giosuè Carducci, l’illustre poète, qui était son professeur, et pour lequel il avait une admiration enthousiaste (Carducci n’était pas encore sénateur[1], et le jeune étudiant, son disciple, se serait mis fort en colère si quelqu’un lui eût prédit alors qu’il deviendrait lui-même député) ; les lettres du poète, qu’il me montra, portaient cette adresse, que j’ai retenue parce que la naïveté de la formule me faisait sourire : All’ egregio giovane Andrea Costa. Au bout de peu de temps, on écrivit d’Italie à Costa qu’il pouvait rentrer sans danger : il reprit le chemin de son pays, où il rapportait des idées plus claires sur l’Internationale, et où il devait, en août, être l’un des organisateurs de la Conférence de Rimini.

IV


Dans le Jura : polémiques ; Congrès du Locle (19 mai). — En Italie : nouveaux progrès de l’Internationale ; Cafiero à Locarno (20 mai-18 juin). — En Espagne : la crise devient aiguë ; lettres de Bakounine à F. Mora, à Lorenzo, à Morago (avril-mai).


Je reviens à la Fédération jurassienne.

Le procès de Leipzig, dont j’ai parlé, fournit à Outine un nouveau prétexte de nous attaquer. Voici ce que publia l’Égalité du 7 avril 1872 :

« Nous passons outre sur les accusations du président du tribunal : c’étaient toujours les mêmes clichés stéréotypés que nous avons vus se reproduire dans les trois procès de l’empire bonapartiste contre l’Internationale, et que le journal la Révolution sociale, de triste mémoire, s’est donné pour tâche de confirmer et de renforcer dans chacun de ses numéros : c’est toujours l’autoritarisme dictatorial du Conseil général, les ordres reçus de Londres, le chef suprême Karl Marx, etc. Qu’en pensent messieurs les séparatistes, les grands prêtres de Sonvillier, de ce touchant accord de leurs accusations avec celles du président du tribunal qui a condamné nos courageux frères allemands ?... Cela suffira-t-il enfin pour dessiller les yeux à ce groupe de nos frères italiens, devant lequel le comité du Jura bernois a la prétention de poser en qualité d’un second Conseil général de l’Association internationale ? »

En même temps, par un jésuitisme dont elle était coutumière, l’Égalité (numéros du 2 mars et du 15 avril) adressait des éloges aux sociétés des ouvriers graveurs et guillocheurs de nos Montagnes, d’abord au sujet de leur solide organisation, de l’énergie et du dévouement de leurs comités, puis à propos d’une grève qui venait d’éclater à la Chaux-de-Fonds dans ce corps de métier ; elle louait la belle et énergique attitude des ouvriers du Val de Saint-Imier, qui avaient fait preuve d’un admirable esprit de solidarité, — et elle s’arrangeait de façon que ses lecteurs ignorassent que ces graveurs et ces guillocheurs dont elle vantait la conduite étaient précisément les mêmes hommes que M. Outine insultait d’autre part en leur qualité de membres de la Fédération jurassienne ; elle croyait pouvoir donner le change, et faire croire que les militants de la Fédération des graveurs et guillocheurs étaient des adhérents du Temple-Unique.

Notre Bulletin releva, comme il convenait, les vilenies d’Outine et

  1. Carducci fréquentait alors les réunions de l’Internationale. Lorsque Piccinnini eut été assassiné à Lugo par les mazziniens (voir plus loin p. 287), Carducci écrivit pour le révolutionnaire lâchement immolé une épitaphe célébrant ce jeune « ami du peuple et de tous les hommes, qui, héraut de concorde et de paix, avait commencé à lutter, avec les associations de travailleurs de toute nation, pour la liberté de la plèbe ». (Alfredo Angiolini, Cinquant’ anni di socialismo in Italia, 2e éd., p. 60.)