Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/639

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rédaction du Bulletin, dont la charge m’incombait presque tout entière, me prenait beaucoup de temps ; et il fallut m’occuper en outre à écrire le Mémoire que la Fédération jurassienne, conformément à la décision du Congrès de Sonvillier, devait présenter à toutes les Fédérations de l’Internationale. L’impression du Mémoire fut commencée en juillet : « les quatre-vingts premières pages, ainsi qu’une partie des pièces justificatives, furent imprimées avant le Congrès de la Haye, auquel nous avions eu d’abord la pensée de présenter ce travail historique » (Avant-propos du Mémoire) ; mais vu les proportions considérables que prenait mon manuscrit, nous reconnûmes qu’il ne serait pas possible d’en terminer l’impression à temps ; et nous décidâmes alors de remettre à plus tard l’achèvement du volume, ce qui nous permit d’utiliser de nouveaux matériaux, et d’élargir le cadre du livre, « en y faisant entrer une appréciation des manœuvres qui ont signalé ce Congrès de triste mémoire ».

Le Conseil fédéral belge s’était acquitté du mandat que lui avait donné le Congrès de Bruxelles : il avait élaboré un projet de revision des Statuts généraux, et il le publia vers la fin de juin. La plupart des organes de l’Internationale discutèrent ce projet, et notre Bulletin lui consacra un article dans son n° 13 (15 juillet 1872). Le Conseil belge proposait délibérément un remède radical à la situation : il demandait la suppression du Conseil général, rouage inutile s’il devait être considéré comme bureau de correspondance et de statistique, car « les différentes fédérations correspondent directement entre elles et ne s’amusent pas à faire passer leurs lettres par Londres », et, quant à la statistique, le Conseil général « ne s’en est jamais occupé sérieusement jusqu’à présent » ; — rouage dangereux, s’il prétendait être une autorité directrice, armée de pouvoirs d’excommunication. En outre le projet voulait qu’au Congrès général annuel chaque Fédération n’eût qu’une voix, quel que fût le nombre des délégués par elle envoyés ; le Bulletin approuva, en disant : « Nous applaudissons des deux mains à cette mesure, qui ferait cesser bien des abus ». Mais le projet belge donnait aux Fédérations composant l’Internationale le nom de Fédérations nationales, ce qui supposait que dans chaque pays il y aurait une Fédération, et qu’il n’y en aurait qu’une ; le Bulletin combattit en ces termes cette conception :


À nos yeux, prendre pour base de notre organisation fédérative le fait artificiel des nationalités politiques, c’est rompre en visière à nos premiers principes. Nous voulons supprimer les frontières, nous voulons détruire les États politiques, et nous commencerions par nous parquer dans des fédérations calquées sur les frontières des nationalités actuelles ? Non, nos amis belges n’ont pas examiné d’assez près cette question. Le seul principe qui doive déterminer le groupement des Sections en Fédérations, c’est l’affinité naturelle : ce sera, par exemple, l’identité de langue, la position géographique, la similitude d’intérêts économiques. Quelquefois ce groupement naturel coïncidera avec les frontières d’une nationalité, comme en Belgique par exemple[1] ; mais ailleurs, pour constituer une Fédération nationale, il faudra faire violence aux affinités naturelles. En Suisse, par exemple, une Fédération nationale suisse serait une monstruosité... Les Sections de la Suisse allemande sont, de tempérament, de langue, de principes et d’intérêts économiques, les sœurs des Sections de l’Allemagne ; elles lisent les organes socialistes de l’Allemagne ; c’est avec les Sections de l’Allemagne qu’elles tendent à former groupe. La Section italienne du canton du Tessin se ralliera infailliblement, dans un délai très court, à la Fédération italienne. Un

  1. Et encore n’y aurait-il pas, en Belgique, plus d’une réserve à faire ?