Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/642

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que ma situation y était devenue intenable ; animé d’un esprit de paix et de concorde, je me trouvais entre l’enclume et le marteau. Ma sincérité et mes convictions ne me permirent pas de conserver plus longtemps mes fonctions, et je les résignai librement, sans pression ni menace de personne, mais assurément à la satisfaction de mes collègues : ils se virent par là débarrassés de la gêne que leur causait la présence d’un homme qui ne partageait pas leurs passions[1].


La Fédération espagnole se préparait à élire ses délégués au Congrès de la Haye. Une circulaire du Conseil fédéral avait proposé aux Sections l’envoi d’une représentation collective, élue par les suffrages de tous les internationaux d’Espagne, et le vote d’une cotisation de vingt-cinq centimes par tête pour subvenir aux frais. Il était à prévoir que les délégués élus ne seraient pas de dociles instruments du Conseil général : en conséquence, « pour produire une perturbation, afin qu’il devînt impossible d’envoyer des délégués à la Haye[2] », on résolut à Londres de frapper un grand coup. Le 24 juillet, Engels écrivit au Conseil fédéral espagnol une lettre[3] où il disait :


Citoyens, nous avons les preuves en mains qu’il existe au sein de l’Internationale, et notamment en Espagne, une société secrète qui s’appelle l’Alliance de la démocratie socialiste. Cette société, dont le centre est en Suisse, a pour mission spéciale de diriger, dans le sens de ses tendances particulières, notre grande Association, et de la mener vers des buts ignorés par l’immense majorité des internationaux…. Le Conseil général a déjà annoncé dans sa circulaire qu’il réclamera du prochain Congrès une enquête sur cette Alliance, véritable conspiration contre l’Internationale… Il est résolu de mettre fin à ces manœuvres occultes, et, à cet effet, il vous réclame, pour le mémoire sur l’Alliance qu’il doit présenter au Congrès de la Haye :

1o Une liste de tous les membres de l’Alliance, en Espagne, avec la désignation des fonctions qu’ils remplissent dans l’Internationale ;

2o Une enquête de votre part sur le caractère et l’action de l’Alliance, ainsi que sur son organisation et sur ses ramifications dans l’intérieur de l’Espagne…

À moins de recevoir une réponse catégorique et satisfaisante par le retour du courrier, le Conseil général se verra dans la nécessité de vous dénoncer publiquement en Espagne et à l’étranger comme ayant violé l’esprit et la lettre des Statuts généraux et comme ayant trahi l’Internationale dans l’intérêt d’une société secrète qui lui est non seulement étrangère, mais hostile[4].


Quatre jours après l’envoi de cette missive, la réponse si insolemment réclamée n’étant pas arrivée, Engels proposa au sous-comité du Conseil général de suspendre le Conseil fédéral espagnol. C’était agir en homme conséquent. Jung, membre du sous-comité, demanda alors à Engels qui lui avait fourni les renseignements d’après lesquels il avait écrit. Engels répondit que c’était Lafargue : or celui-ci n’était secrétaire d’aucune Sec-

  1. Lettre du 19 décembre 1905.
  2. Cuestion de la Alianza, p. 4.
  3. Dans la brochure L’Alliance, etc. (p. 38), il est dit expressément que ce fut dans l’espoir d’empêcher « que les candidats officiels de l’Alliance fussent élus et délégués au Congrès aux frais de l’Internationale » qu’Engels écrivit sa lettre.
  4. La brochure L’Alliance a reproduit (p. 38) plusieurs passages de cette lettre, entre autres le début ; mais les auteurs ont cru devoir en passer sous silence la conclusion : ils n’ont pas osé reproduire l’ultimatum d’Engels.