Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/665

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Fédérations d’opinion autonomiste, l’attitude de la Commission de vérification fut bien différente. On chercha querelle à plusieurs d’entre eux, entre autres aux quatre délégués de la Fédération espagnole, à deux délégués américains, et au délégué de la Section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste de Genève.

L’objection faite aux Espagnols était que leur Fédération n’avait pas payé ses cotisations à Londres[1]. Le Conseil général croyait avoir trouvé là un argument sans réplique ; malheureusement pour lui, les Espagnols avaient apporté les cotisations avec eux, dans l’intention de les payer au Congrès même, ce qu’ils firent. Une fois ces cotisations acquittées, il semblait qu’il ne dût plus y avoir d’obstacle à leur admission, puisque la Commission n’en avait pas mentionné d’autre. « Mais M. Marx est un homme à ressources ; il trouva immédiatement un nouveau prétexte. Les délégués espagnols, dit-il au Congrès, sont impliqués dans l’affaire de l’Alliance, et il convient de suspendre leur admission jusqu’après la discussion de cette question-là. Cette tactique jésuitique fut déjouée par l’attitude énergique des Espagnols : Marselau, de Séville, dans un discours écrasant de mépris pour les machinations malpropres de la majorité, mit à nu toutes les petites intrigues contre l’Espagne, et somma le Congrès de déclarer franchement s’il voulait, oui ou non, expulser de l’Internationale la Fédération espagnole. La majorité n’osa pas répondre, et les Espagnols furent admis[2]. »

Le délégué américain Sauva avait des mandats des Sections 2, 29 et 42. Ces Sections étaient adhérentes, non pas au Conseil de Spring Street (fédéraliste), mais à celui du Tenth Ward Hôtel : néanmoins, le mandat de la Section 2 fut annulé, parce que cette Section, ayant protesté contre l’élection de Sorge et de Dereure comme délégués, avait été exclue par le Conseil fédéral du Tenth Ward Hôtel ; mais il fallut bien reconnaître la validité des mandats des Sections 29 et 42, et Sauva fut admis à siéger.

L’autre Américain auquel s’en prit la Commission s’appelait W. West ; il était délégué par un Congrès tenu à Philadelphie le 9 juillet par les Sections groupées autour du Conseil fédéral de Spring Street ; mais il était membre de la Section 12, — cette Section dont le Conseil général avait prononcé la suspension malgré le préavis contraire d’Eccarius. Les raisons alléguées par le Conseil général étaient qu’il y avait dans la Section 12 des spirites et des partisans de l’amour libre, c’est-à-dire des représentants de doctrines auxquelles il n’était pas possible de reconnaître droit de cité dans l’Internationale. La majorité du Congrès adopta ce point de vue, et la Section 12 ayant été repoussée, le délégué du Congrès de Philadelphie se vit fermer les portes du Congrès de la Haye.

La Section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste de Genève faisait partie de la Fédération jurassienne ; mais, ne se trouvant pas suffisamment représentée par les deux délégués élus au Congrès de la Chaux-de-Fonds, elle avait tenu à envoyer au Congrès son délégué spécial, en la personne de Nicolas Joukovsky[3]. Celui-ci avait mission d’exposer les griefs particuliers de sa Section contre le Conseil général, et de mettre en relief les services qu’elle avait rendus à l’Internationale. Mais il arriva que ce délégué spécial ne put pas ouvrir la bouche pendant

  1. L’un des délégués espagnols ayant demandé à la Commission de vérification si la condition qu’on exigeait d’eux avait été remplie par tous les autres délégués, la Commission déclara que « toutes les Sections dont les délégués avaient été admis par elle, avaient payé leurs cotisations » (Memoria, etc., p. 6).
  2. Bulletin de la Fédération jurassienne (no 17-18, p. 3).
  3. Grande fut notre surprise quand nous vîmes, le lundi soir, Joukovsky, arrivant de Genève sans que nous eussions été prévenus de rien, débarquer dans notre hôtel. Sa Section n’avait pu lui donner que l’argent strictement nécessaire pour le trajet de Genève à la Haye, et il fallut nous cotiser pour l’entretenir pendant la durée du Congrès. Le Congrès fini, nous le ramenâmes avec nous jusqu’à Bruxelles, où, notre bourse étant à sec, nous dûmes l’abandonner ; il fut obligé d’attendre là qu’on lui eût envoyé de Genève l’argent du retour.