Page:Jammes - Feuilles dans le vent, 1914.djvu/116

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ces mille facettes du courant qui le font ressembler là-bas à un miroir à piper les alouettes ? Et n’êtes-vous point un sage pas très différent de celui auquel ses enfants élevaient un tombeau où ils sculptaient les attributs de la pêche : une nasse, un bateau ? Nul doute cependant, monsieur, qu’aux yeux de quelque stupide campagnard votre beau passe-temps ne soit une preuve de pusillanimité. Ces feuillages qui s’élèvent de la berge, cette nudité sereine de l’air, ce mystère très poignant d’un septuagénaire qui vient de prendre un poisson par une ruse aussi fruste que la ruse d’un sauvage des habitations lacustres, voilà de la grandeur. Qu’est-ce en effet qu’une feuille, que l’eau, que la terre, que le ciel, qu’un pêcheur, qu’un poisson, qu’une ruse, sinon les données d’un problème qu’aucune philosophie orgueilleuse ne résout ? Oui, noble inconnu : parce qu’il vous verra chaussé de ces guêtres à carreaux et coiffé de cette sorte d’abat-jour vert, l’homme moderne se refusera à reconnaître la poésie de votre geste. Ce geste du pêcheur à la ligne, il est un paradoxe en ce siècle corrompu ; il est l’un des actes les plus