Page:Jammes - Feuilles dans le vent, 1914.djvu/123

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luai. Ils montèrent dans un grand omnibus verni comme une botte.

Décidément le Seigneur me protégeait. Ma fortune s élevait à la somme de vingt-huit francs soixante centimes. Une inquiétude me prit à l’idée de tant posséder. Ce qui pouvait être surtout un danger pour moi vis-à-vis de la gendarmerie routière, c’était la pièce d’or de M. Félix. Je résolus de la monnayer le plus tôt possible.

Comme je commençais à crever de faim, j’entrai dans une gargote dont le patron me fit d’abord grise mine. Mais quand je lui eus offert de payer à l’avance mon déjeuner, et lorsqu’il eut prélevé deux francs sur mon louis qui le fit quelque peu loucher, il poussa la complaisance jusqu’à me permettre de m’asseoir dans un coin reculé de son jardin pour que j’y prisse mon repas. Tout était poétique dans ce potager d’auberge. La bonne m’apporta, après la soupe au chou, devinez quoi ?… De la gibelotte ! Je fus si attendri à l’idée que ce joli petit lapin avait été désigné par la Providence pour être mangé par un mendiant tel que moi, que je pleurai bien