Page:Jammes - Feuilles dans le vent, 1914.djvu/132

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luisant prolongeait le murmure, on entendait : ôôôôôôô.

La fanfare reprit, autoritaire. On eût dit d’une fête chez les Papous, l’ombre nous rendant nègres et les rondes et pourpres lanternes vénitiennes simulant un trophée de têtes coupées. Je consultai à nouveau le programme épinglé à un ormeau et je lus : Bohème Joyeuse, par Yvan. Ah ! Comment cet auteur fit-il passer devant mes yeux consternés des troupes de vieillards sablant du Champagne avec des filles dans des restaurants de nuit ?… Je doute qu’Yvan ait voulu évoquer ce tableau. Donc, il s’est trompé.

C’est en écoutant cette mélodie que je compris quelle grâce le Ciel m’avait faite en me réduisant à cette misère. Une ineffable allégresse m’envahit au milieu de ces naïves réjouissances. J’aspirai l’air de Dieu sous l’azur de cette belle nuit. Quand la musique et le feu d’artifice eurent pris fin, le bal recommença. J’allai m’étendre, à un kilomètre de là, dans du foin et non loin de feuillages que le clair de lune caressait. Une bouffée du bal