Page:Jammes - Feuilles dans le vent, 1914.djvu/72

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Cela est bien vrai. Ce n’est pas un mauvais rêve. Je ne pourrai plus me servir jamais de ce bras droit qui n’est plus attaché à moi. Mais mon bras gauche est libre, tandis que les deux bras de Notre-Seigneur sont rivés à la croix. Ses bourreaux ont voulu l’empêcher de se servir de l’un et l’autre bras, et de ses jambes aussi. Ah ! combien il est plus souffrant que moi ! Durant son agonie, nul n’a étanché son sang et à sa résurrection aucun juge de paix, aucune compagnie d’assurances, aucun patron ne sont venus estimer ce qu’il avait souffert pour l’en dédommager. Aujourd’hui, grâce à la loi sur les accidents, un bras vaut tant, une jambe vaut tant, selon le salaire. Mais lui, le Fils de Dieu, quelle blessure ne lui a pas été faite de la racine des cheveux à la plante des pieds ? Et l’on n’a rien payé ni à lui, ni à sa mère, ni à son Père qui règne dans les Cieux. Et pourtant il avait droit comme un autre. Il était un humble charpentier à Nazareth.

C’est ainsi que Pierre méditait au point du jour, et il voyait les têtes de ses compagnons se relever hors des lits une à une, pas